à table !
boire & manger
en gaule du nord
à table !
boire & manger
en gaule du nord
commissariat de l’exposition
Noël Mahéo, conservateur en chef
aux musées d'Amiens
Stéphane Dubois, Inrap, UMR 7041 ArScAn
commissariat scientifique de
l’exposition et du catalogue
Cyrille Chaidron, Inrap, UMR 7041 ArScAn,
Stéphane Dubois, Inrap, UMR 7041 ArScAn
Sonja Willems, Inrap, UMR 7041 ArScAn,
suivi éditorial
et coordination
Elisabeth Justome, Inrap
Noël Mahéo, conservateur en chef
aux musées d’Amiens
gestionnaire du moBilier,
regie des oeuvres
Annick Thuet, Inrap
Bénédicte Rochet, musées d’Amiens
graphisme
Caroline Bonhomme
relectures
Les commissaires et Elisabeth Justome,
Lydie Joan, Julie Flahaut, Alexia Morel (Inrap)
financement
Musée de Picardie, Amiens/Métropole
Institut National de Recherches
Archéologiques Préventives, Inrap
organismes prêteurs
Musée Boucher de Perthes d’Abbeville, musée
de la Cote d’Opale de Berck-sur-Mer, musée
municipal de Soissons, musée archéologique
de l’Oise à Vendeuil-Caply, musée du
Vermandois à Vermand, Conseil général de la
Somme, centre archéologique départemental
de Ribemont-sur-Ancre.
Direction régionale des Afaires culturelles
Nord Pas-de Calais, Service régional de
l’archéologie ; Direction régionale des afaires
culturelles de Picardie, Service régional
de l’archéologie ; Service Archéologique
Municipal de la ville d’Arras.
Collection François Vasselle, Amiens,
Institut ARVALIS (Laurent Aubry), Adevia,
Communauté d’agglomération de Cambrai ,
Proteram, Maizy Marie-Pierre, Baillet Lucie,
Baillet Emilie, Baillet Justine , Evrard Monique,
Doisy Jean-Pierre
cet ouvrage a été publié
à l’occasion de l’exposition :
à table !
boire et manger
en gaule du nord
présentée au musée
de picardie à amiens
du 11 mai au 1er décembre 2013.
Que soient ici remerciés tous ceux qui ont pris part à la mise
en œuvre de cette exposition : la direction et les personnels
du Musée de Picardie, l’Inrap, la DRAC de Picardie, Service régional
de l'archéologie, la DRAC Nord Pas-de-Calais, Service régional de
l'archéologie les diférents organismes prêteurs et les responsables
d’opération qui ont accepté de mettre à disposition des objets
de fouilles encore à l’étude et des documents iconographiques :
A. Gapenne, D. Lamotte, D. Gaillard, F. Lemaire, D. Maréchal,
M. de Muylder, S. Sarrazin.
sommaire
dans les cuisines gauloises...
12
reconstituer la cuisine des gaulois / Anne Flouest
12
16
16
les aliments
Céréales et légumineuses cultivées, l’émergence de la paniication
/ Véronique Zech-Matterne
• Elevage et viande en Gaule du Nord / Stéphane Dubois
• Conserver la viande: les sels du Nord / Cyrille Chaidron / Gilles Prilaux
modes et instruments de cuisson / François Malrain
• Les vases peints d’Eterpigny / Didier Lamotte
• Le poêlon d’Eterpigny / Alexia Morel
de timides influences méditerranéennes en gaule septentrionale
21
22
24
30
32
33
/Cyrille Chaidron / Stéphane Dubois
• Quelques recettes potentielles tirées de la cuisine gauloise
reconstituée / Anne Flouest et J.-P. Romac, 2006
36
vers la cuisine gallo-romaine
38
le modèle romain: héritage et creuset de toutes les civilisations
38
de l’empire romain / Nicole Blanc et Anne Nercessian
l’ouverture de la gaule au nord à de nouvelles productions vivrières
41
/ Véronique Zech-Matterne
Des changements fondamentaux dans l’agriculture céréalière
Essor de l’arboriculture et développement sans précédent des cultures
légumières
• L’importation d’aliments exotiques méditerranéens en Gaule du Nord
41
44
48
/ Stéphane Dubois
un cheptel renouvelé et l’accès à de nouvelles ressources aquatiques
50
- conchyliculture, pêche de mer/ Stéphane Dubois
nouvelles manières de table, nouvelles façons de cuisiner
54
/ Sonja Willems, Cyrille Chaidron, Stéphane Dubois
Préparer les aliments à la mode gallo-romaine
• Un exemple de cuisine romaine à Tongres / Patrick Reygel
• Eléments métalliques liés au foyer domestique / Alexia Morel
• Faisselles à fromage en Gaule du Nord / Stéphane Dubois / Sonja Willems
• Ustensiles métalliques pour la préparation des aliments / Alexia Morel
• Préserver et stocker les denrées alimentaires / Stéphane Dubois
/ Sonja Willems
• Des ablutions avant le repas / Stéphane Dubois
La préparation des aliments : le service de table
• La vaisselle métallique: un service de table d'exception / Alexia Morel
• La vaisselle en verre / Jennifer Clerget
• Quelques recettes tirées de la cuisine romaine antique / Nicole Blanc
/ Anne Nercessian
mise en perspective / Stéphane Dubois
aller plus loin
bibliographie
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58
59
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64
65
70
72
74
76
77
78
introduction
Boire et manger sont des nécessités vitales, qui imposent quotidiennement leurs besoins à assouvir.Chaque civilisation humaine
a développé ses propres traditions en matière d’alimentation. Elles
déinissent la manière d’acquérir la nourriture, soit par prélèvement direct dans la nature (par le biais de la chasse, de la pêche et
de la cueillette), soit par divers degrés de domestication de la nature
(élevage, mise en culture), soit par des systèmes mixtes.
Ces traditions concernent également la manière de préparer et
d’accommoder les aliments. Les recettes de cuisine sont ainsi
transmises de génération en génération et la fabrication des récipients de cuisson s’adapte aux pratiques retenues parmi un choix
assez limité. Selon les périodes et les régions seront ainsi privilégiés le cru ou le cuit et, parmi le cuit, des cuissons bouillies, rôties,
grillées, mijotées, étoufées, au four ou encore à la vapeur.
Sont enin déterminées par ces traditions la ou les façons acceptables de consommer les aliments, depuis le stade informel (manger
sur le pouce) jusqu’à des pratiques extrêmement ritualisées, en
lien avec les conventions sociales (les « bonnes manières ») ou
avec des moments particuliers de la vie religieuse (par exemple la
consommation des animaux de sacriice, les banquets cultuels ou
funéraires).
Ces codes alimentaires qui caractérisent chaque civilisation
ne sont cependant pas hermétiques. À l’occasion de voyages, de
contacts commerciaux ou de conquêtes militaires se produisent
fréquemment des échanges culturels, tantôt mineurs, tantôt
rapides et assez radicaux.
C’est l’une de ces mutations profondes et rapides que décrivent cette
exposition et ce catalogue. La conquête de la Gaule par César, entre
58 et 52/51 avant notre ère, met en contact, par la force des armes,
les tribus belges qui occupaient le nord-ouest de la Gaule avec un
empire en cours d’expansion à l’échelle du monde méditerranéen.
Ces petits peuples – les Bellovaques (centrés sur le Beauvaisis), les
Ambiens (Amiénois), les Viromanduens (Vermandois), les Atrébates
(Artois), les Nerviens (du Cambrésis et de l’Avesnois), les Morins
et les Ménapiens des côtes de la Manche et de la Mer du Nord –
étaient de culture celtique. Ils se rattachent à une civilisation de
l’Âge du Fer que les archéologues appellent « culture de La Tène
», qui s’étend depuis l’Europe centrale jusqu’aux Îles Britanniques.
Cette civilisation dite laténienne résulte d’une évolution sur le long
terme – émaillée de mouvements humains qui nous échappent
largement – des sociétés d’agriculteurs installés en Europe centrale
et occidentale depuis le Néolithique (au VIe millénaire avant notre
ère). Dirigée par une aristocratie guerrière, elle repose sur une
agriculture très développée pratiquée au sein de fermes isolées,
disposées selon un semis assez dense sur les plateaux comme dans
les vallées et dont les plus imposantes servent sans doute également de résidences à l’aristocratie. En outre, on ne connaît pas
dans ce secteur de la Gaule de villages ouverts et les sites fortiiés
! boire et manger en gaule du nord 10
(du type oppidum décrit par César) sont ici à la fois rares et très
tardifs. L’agriculture s’est progressivement adaptée aux conditions
climatiques locales, à partir d’espèces apportées du Moyen-Orient
(blés et orges, animaux domestiques), auxquelles se sont ponctuellement ajoutées – on le verra ci-dessous – quelques espèces
nouvelles animales et végétales domestiquées sur place.
Très éloignés de la Méditerranée, ces Belges n’avaient avec Rome
que des rapports limités (et sans doute indirects) que l’on perçoit
à travers quelques objets « de prestige ». Il s’agit essentiellement
de rares pièces de vaisselle métallique, comme le bassin en bronze
de Bucy-le-Long ou le poêlon d’Eterpigny, et de petites quantités
de vin difusé dans des amphores. Le contraste n’en est que plus
lagrant avec la civilisation romaine qui s’implante brusquement et
durablement en Gaule du Nord.Rome, au milieu du Ier siècle avant
notre ère, est une ville tentaculaire et cosmopolite qui avoisine
probablement un million d’habitants. Suite à son expansion en
Méditerranée orientale et en Afrique du Nord depuis un siècle et
demi, elle a intégré nombre de pratiques et de traditions héritées
des empires plus anciens, donnant naissance à une culture mixte
dite gréco-romaine.
L’alimentation est l’un des aspects les plus remarquables de ce
melting-pot à l’échelle du pourtour méditerranéen. Rainement et
gastronomie remplacent sur les tables de l’aristocratie romaine le
menu frugal traditionnel et le repas devient l’occasion de mettre
en scène son opulence. Un goût parfois immodéré pour l’exotisme
conduit à la recherche d’une variété extraordinaire d’aliments et
de condiments. Pour ce faire, les ressources disponibles dans l’ensemble des provinces romaines sont mises à contribution, et des
échanges commerciaux avec l’Inde et les ports d’Arabie (notamment pour les épices) sont mis en place.
C’est donc un véritable choc culturel qui frappe la Gaule du Nord
dans la seconde moitié du Ier siècle avant notre ère, entre une société
rurale traditionnelle et une vision multiculturelle et productiviste.
Le choc est pourtant atténué, on le verra, par une introduction assez
progressive des innovations mises à disposition par les conquérants. Si des changements rapides sont évidemment perceptibles
grâce aux découvertes archéologiques, la génération qui a connu
la Guerre des Gaules semble avoir largement continué à s’alimenter selon les principes traditionnels. C’est la génération suivante,
née après le conlit, qui paraît intégrer rapidement et massivement
de nouvelles pratiques à la tradition indigène.
Les dernières décennies du Ier siècle avant notre ère marquent donc
un tournant de civilisation très net et correspondent à l’émergence
d’une culture mixte dite gallo-romaine. Avant de toucher l’architecture (avec l’introduction de la pierre et de la tuile), c’est par la
nourriture que se traduisent les changements les plus perceptibles.
11
_
_
à table
Tous les aspects de l’alimentation sont touchés : la production, par
l’introduction de nouvelles races animales, de nouvelles espèces
domestiques, de nouvelles ressources animales (les produits de la
mer), de nouvelles variétés de plantes (notamment de légumes et
d’aromatiques), de nouvelles techniques de culture et d’élevage ;
la cuisine avec la découverte de multiples condiments et aromates
jusqu’alors inconnus, l’arrivée de nouvelles façons de cuire,
notamment avec des sauces préparées à part dans des mortiers ;
la manière même de boire et de manger enin est modiiée, ce qui
entraîne un renouvellement radical de la vaisselle avec le remplacement des écuelles gauloises par un véritable service de table. Le
goût de l’aristocratie gauloise pour les objets de prestige rejoint
une pratique romaine similaire, et s’exprime à travers de très belles
pièces de vaisselle en métal ou en verre : le service à ablutions en
bronze de Trinquies, les plats de Villers-Vicomte ou les gobelets en
verre de Croixrault, Urvillers et Amiens en témoignent.
Ces changements alimentaires sont d’une ampleur telle qu’ils ont
sans nul doute changé la vie quotidienne des populations locales,
et peut-être contribué, par les plaisirs du palais, à cimenter leur
intégration au monde romain.
Stéphane Dubois
Inrap, UMR 7041
à table
! boire et manger en gaule du nord
Diodore, Bibliothèque historique, V,25-26
Varon, De re rustica, I,7
3
Pomponius Mela, De chorographia, III,2,1
4
Strabon, Géographie universelle, IV,1,2
5
Athénée, les Deipnosophistes, IV,151-152
6
Idem 150,d-f
7
Diodore, Bibliothèque historique, V,28
8
Strabon, Géographie universelle, IV,4,3
9
Pline, Histoire naturelle, VIII, 70,179
10
Strabon, Géographie universelle, IV,4,3
11
Athénée, les Deipnosophistes, XIV,657e
2
13
reconstituer la cuisine des gaulois
mémoire de mots
Les bonnes recettes gauloises ont été oubliées depuis longtemps ; aucune n’a été consignée dans quelque carnet de cuisine
ou ménagier ancien, peu de passages de textes grecs ou latins
concernent les repas et la nourriture des Gaulois et seuls quelques
mots en langue gauloise ont gardé la mémoire des aliments, des
boissons ou ustensiles de la cuisine. Les possibles préparations
alimentaires que l’archéologie s’autorise à proposer (et à expérimenter) ne peuvent donc que combiner deux ensembles de
données archéologiques, celles concernant les ressources alimentaires retrouvées sur les sites archéologiques et celles relatives aux
ustensiles de cuisine auxquelles s’ajoutent parfois des traces de
préparation ou de consommation.
Dans le Dictionnaire de la langue gauloise (2003), l’auteur, Xavier
Delamarre, a regroupé le vocabulaire gaulois par groupes sémantiques. Le groupe des mots relatifs aux aliments et aux boissons
comporte une liste de treize mots, liste que l’on peut rallonger
d’une quinzaine de noms de plantes comestibles ou aromatiques
et d’une quarantaine d’animaux chassés ou élevés pour la consommation ; les mots relatifs aux ustensiles de cuisine ou au service ne
sont qu’au nombre de cinq.
Les Gaulois cultivaient des céréales (le blé : arinca) et l’orge et
avec le malt (bracis) ils élaboraient dans le mythique chaudron
(pario) une boisson (linda), la bière (ceruesa ou curma) enivrante
(meduo- ), bien plus coupe-soif (onobia) que l’hydromel (medu)
élaboré avec le miel des abeilles (becos). La meule (brauon) était
indispensable pour moudre le blé et faire une ine leur de farine
(blàto) qui pouvait servir à faire des bouillies (iutta),
témoignages écrits
1
dans les cuisines gauloises
_
dans les cuisines
gauloises…
_
12
Les témoignages écrits sont dus à des voyageurs de l’Antiquité en
contrées étrangères, frappés par des us et coutumes qu’ils jugeaient
étranges ; ils n’ont relaté que les diférences les plus évidentes entre
l’alimentation gauloise et celles des populations méditerranéennes.
C’est ainsi qu’ils s’étonnent que les Gaulois puissent se nourrir
« dans un pays qui ne produit ni huile ni vin »1 ; « dans la partie
de la Gaule transalpine […] je [Varon] vis[t] certaines régions dans
lesquelles ne croissent ni la vigne, ni l’olivier, ni les arbres fruitiers »2.
Pourtant, « La Gaule était fertile en blés et en fourrage »3 ; « La Gaule
produit une grande quantité de froment, de millet, de glands et
nourrit toute espèce de troupeaux »4. Ils notent l’importance de l’élevage en Gaule qui explique la grande consommation de viandes et
de laitages : « Leur nourriture consiste en un petit nombre de pains
et en de nombreuses viandes bouillies ou cuites sur des charbons et
des broches […] ils servent des poissons vivant soit dans les rivières,
soit dans les deux mers intérieure et extérieure, cuits avec du sel et du
vinaigre et du cumin qu’ils mettent également dans la boisson. Mais
ils ne servent pas d’huile à cause de sa rareté et parce que le manque
d’habitude la leur fait paraître désagréable »5 ; « chez les Gaulois […]
beaucoup de morceaux de pain découpés et de viandes sorties du
chaudron sont disposés en abondance sur les tables […][Ariamnès]
avait disposé d’énormes chaudrons remplis de toutes sortes de
viandes »6 ; « près d’eux (les Gaulois), sont disposés des foyers où le
feu est intense et qui sont garnis de chaudrons et de broches pleins
de beaux quartiers de viandes »7 ; « Leur nourriture est très abondante ; elle comporte du lait et des viandes variées »8 ; « les vaches
des Alpes, qui sont les plus petites, sont aussi celles qui donnent le
plus de lait »9 ; « La nourriture des Gaulois se compose surtout de
lait et de chairs de toutes sortes mais surtout de la chair de porc soit
fraîche, soit salée »10; « Le jambon gaulois est le meilleur »11.
Ces notes de voyages12 directes ou indirectes, incomplètes ou anecdotiques n’en restent pas moins de savoureux fragments sur les
usages de la table et le repas gaulois.
Cuisine gauloise réalisée par les Ambiani
© Yann Kervan - Les Ambiani
Ces quelques éléments sont de précieux indices qui laissent présager de la présence ou de l’usage d’un aliment, d’un ingrédient, d’un
ustensile. Il reste à les comparer aux vestiges archéologiques pour
apporter des preuves tangibles à cette enquête de reconstitution
sur l’alimentation.
des preuves matérielles : les vestiges archéologiques
Datés de l’époque gauloise, des vestiges sont identiiés par les
archéologues comme plantes comestibles - pollens, graines
ou fruits carbonisés ou minéralisés-, comme restes d’animaux
consommés (ossements portant parfois des traces de découpe
ou de cuisson, rejetés à proximité des habitats, déposés dans les
tombes pour les repas des défunts...), comme ustensiles de cuisine
ou modes de préparation (pots de cuisson, chaudrons, broches,
meules, couteaux, racloirs, faisselles…) ; ces vestiges sont suisamment abondants et bien documentés pour que l’on puisse approcher les pratiques culinaires gauloises déjà nourries d’une longue
histoire au quotidien.
la cuisine gauloise héritée d’une longue histoire
La cuisine gauloise se positionne dans une période relativement
récente de la longue histoire de l’alimentation. D’abord crue, l’alimentation a connu sa première innovation avec la domestication
du feu, il y a 750 000 ans environ ; au cru, s’ajoutaient alors les
premières cuissons pour l’essentiel des grillades, cuissons encore
pratiquées et appréciées à l’époque gauloise comme aujourd’hui.
La deuxième innovation de l’histoire de la gastronomie est celle de
la cuisson à l’eau qui a été possible grâce à l’invention de la céramique généralisée au Néolithique. Cette première matière artiicielle a permis de fabriquer des récipients en terre cuite, résistants
Les auteurs de ces courts extraits
compilent les informations antérieures
de sources disparues, Athénée se nourrit
de l’œuvre du géographe Posidonios
d’Apamée (IIe siècle avant notre ère),
ou de Phylarque (Ier siècle avant notre ère)
tandis que Strabon exploite les données
d’Artémidore (vers 100 avant notre ère).
12
à table
! boire et manger en gaule du nord
dans les cuisines gauloises
15
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_
14
légumineuses cultivées (lentilles, pois, ers...) et les légumes sauvages
(légumes racines – panais, salsiis…) apportent aussi les sucres tandis
que les « légumes-épinards » (l’ortie, les chénopodes…) et les champignons apportent vitamines et sels minéraux ; l’arboriculture n’étant
pas encore développée, les fruits indigènes (noisettes, pommes,
poires, mures, prunelles, framboises, fraises des bois…) complètent la
corbeille de vitamines. Depuis l’Âge du Bronze, environ deux millénaires avant l’époque gauloise, dont l’artisanat nécessitait de la cire
d’abeille pour le modelage des objets avant qu’ils ne soient coulés,
le miel produit par l’égouttage des alvéoles de cire servait à sucrer
les possibles pâtisseries et donnait une boisson fermentée, l’hydromel ; pour autant, la principale boisson fermentée était déjà la traditionnelle cervoise élaborée avec du malt d’orge et/ou de blé plus ou
moins grillé, déjà connu dès l’aube de l’agriculture.
Préparation d'un ragout gaulois
© Yann Kervan - Les Ambiani
au feu ; la cuisine à l’eau devenait dès lors si familière qu’on oublierait qu’elle est très récente, à peine plus de 4 000 ans avant la période
gauloise ; elle devenait essentielle et elle prit encore plus d’importance avec la généralisation du grand chaudron métallique, devenu
le symbole de la cuisine gauloise. La cuisine à l’eau évoque une
cuisine ordinaire, peu goûteuse voire une cuisine de régime, celle
du « bouilli » (remarquée par les auteurs antiques); pourtant c’est
la cuisine des pots au feu, des ragoûts, des potages, des soupes,
des bouillons, des pochages, des blanquettes, des bouillabaisses…
riches des saveurs mêlées de viandes et de légumes longuement
mijotés, autant de préparations que la tradition a retenues.
À mettre au pot...
La culture gauloise enracinée dans les modes de productions
caractéristiques du Néolithique se nourrissait essentiellement
des produits de la ferme : vaches, chèvres, moutons, cochons,
volailles. L’élevage fournissait l’essentiel des viandes ; moins de
10% des restes consommés sont des restes d’animaux sauvages
airme l’archéozoologue Patrice Méniel, et le sanglier à peine 1%.
Si les Gaulois chassent peu, ils restent pêcheurs ; bien qu’il n’y ait
pas encore eu l’introduction de certaines espèces (la carpe, la truite
arc en ciel…), les rivières gauloises étaient très poissonneuses ; les
grands poissons migrants (saumons, aloses, esturgeons, lamproies
de rivière, anguilles..) n’avaient pas encore disparu (ou presque) et
sur les façades maritimes, la pêche littorale était pratiquée.
Les Gaulois, comme leurs ancêtres, se nourrissaient d’aliments très
protéinés, de viandes, de poissons et de laitages ; mais grâce aux
progrès des pratiques agraires (araires au soc de fer, amendements,
sélection de variétés plus productives…), la part des autres catégories est beaucoup plus abondante, notamment les glucides apportés par les céréales – blé, orge et secondairement le millet, transformées en pains, brouets, gruaux, galettes et autres farinades ; les
Malgré la variété de viandes, de poissons, de légumes, de farines
dont disposaient les Gaulois, les plats seraient restés bien fades si
on ne pouvait les assaisonner : le sel, dont la production est avérée
depuis la in du Néolithique, provenait de l’eau de mer, des rivières
salées, des plantes halophiles ou de l’exploitation de roches salines.
Les plantes aromatiques et condimentaires (menthe, ail des ours,
cumin, sarriette...) en l’absence de poivre relevaient les préparations.
À côté des grils, des broches, des pots, des chaudrons il manquera
dans la batterie de cuisine la poêle métallique d’origine méditerranéenne ; dans la cuisine gauloise, pas de friture, pas de rissolage, pas de crêpe non plus ! Pour autant la cuisine gauloise n’était
pas « maigre » ni allégée de toutes matières grasses, les analyses
physico-chimiques (spectrographie infrarouge, chromatographie..) des résidus alimentaires - coulées de débordement, caramels
de cuisson laissés sur la vaisselle ou incrustés dans la pâte des céramiques - prouvent, à côté de glucides, de protéines, et de minéraux,
la présence de lipides, d’acides gras saturés ou non provenant pour
l’essentiel du lait et des viandes.
En guise de conclusion, une Gauloise pouvait ofrir à sa famille
une écuelle de petits pois à la menthe sauvage (albolon en langue
gauloise), un jarret de cochon (succos) cuit au foin dans son pot
accompagné de lentilles et d’une brioche de chénopodes (épinards
qui ne pouvaient qu’être appréciés par les petits Gaulois de l’Âge du
Fer) cuite à même la sole du foyer, puis, au choix, un vieux fromage
sec de brebis, de chèvre ou de vache ou une jatte de fromage frais
égoutté dans sa faisselle et, pour inir, un petit pot de compote de
pommes (abalo) et de poires au miel, le tout avec de belles tranches de
pain et un gobelet - au moins - de cervoise blonde, rousse ou brune...
Anne Flouest
Centre Archéologique Européen de Bibracte
! boire et manger en gaule du nord
les aliments
dans les cuisines gauloises
Ha f.-LT A
LT B-C1
L’évolution des pratiques agricoles durant l’Âge du Fer est désormais mieux connue grâce au résultat d’une enquête menée
conjointement par dix carpologues, à l’échelle nationale. À cette
occasion, les données de 161 sites ont été compilées et analysées13.
67% des études répertoriées se concentraient au nord de la Loire,
sachant que seuls les sites ruraux avaient été pris en compte dans
le cadre de l’enquête ; par ailleurs certaines régions accusaient un
déicit de données, en particulier dans le Massif central et sur la
façade atlantique. Cette synthèse poursuivait un double objectif : proposer de nouvelles problématiques et rendre compte de la
variété des agricultures régionales, des réseaux d’échanges et des
processus de difusion ou de domestication de nouvelles espèces.
Le statut de certaines plantes ou groupes de plantes, a été par
ailleurs reconsidéré.
mélange
orge vêtue
amidonnier
Louvres X6
Tagnon X4
ST Gibrien
Thiais
Villers-aux-Noeuds
Acy X3
ST Martin X5
Mondeville X4
Cairon X2
Tahon X4
Maisnil X2
Forest-Monthiers
Jaux
Compiègne
Bussy-le-Ch. X2
Ploisy
Bailly
Ciry-Salsogne
Auve
Menneville
épeautre
blé tendre
millet commun
pois
féverole
avoine
So
orge vêtue
millets
amidonnier
ers
blés nus
avoines
pois
épeautre
lentille
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Plusieurs espèces nouvelles sont néanmoins apparues, ou se sont
répandues, durant l’Âge du Fer. C’est le cas du seigle (Secale cereale),
dont les premiers indices de domestication sont localisés aux PaysBas et en Allemagne, des avoines cultivées (Avena sativa) attestées
dès l’Âge du Bronze inal mais qui connaissent un premier pic
aux alentours du IVe siècle avant notre ère, du chanvre (Cannabis
sativa) dont les premières traces retrouvées en France datent du
Ve siècle, de l’olivier (Olea europaea), du iguier (Ficus carica), du
noyer (Juglans regia), de la vigne (Vitis vinifera), du prunier (Prunus
domestica) et de la coriandre (Coriandrum sativum). Ces plantes
peuvent être regardées comme des domestications tardives ou
secondaires pour certaines (tel le seigle), ou comme des importations d’inluence méditerranéenne à la in de la période gauloise
(en particulier pour les fruitiers et plantes aromatiques).
monospécificité
ain
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Au début de l’Âge du Fer, l’éventail des plantes exploitées pour
l’alimentation et l’artisanat est déjà très proche de notre répertoire
actuel, voire plus riche. Il comprend un certain nombre d’espèces
céréalières originaires du Croissant fertile, introduites dès l’apparition de l’agriculture en Europe (plusieurs espèces de blés et d’orges).
Quelques autres, comme le pavot, résultent d’une domestication
européenne, à partir d’un ancêtre sauvage autochtone et absent du
Proche-Orient, ou de plantes introduites à l’état sauvage et domestiquées dans un second temps.
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Zech-Matterne et al. 2009
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13
Les situations régionales en matière d’agriculture apparaissent
très diversiiées, mais aussi bien adaptées aux conditions locales.
Des évolutions signiicatives dans la conduite des espèces de
grande culture sont perçues, pour les IIIe-IIe siècles avant notre ère.
4 : Le recul progressif des cultures mixtes
au proit de système de monoculture
(chaque symbole représente un assemblage
carpologique témoignant de stocks ou de
résidus de stocks, qui nous donnent une image
directe de la composition des récoltes).
Ha f.-LT A: Hallstatt inal et La Tène phase A
(autour des VIe-Ve siècles avant notre ère)
LT B-C1: La Tène phases B et C1 (IVe et une
grande partie du IIIe siècle avant notre ère)
LT C2: La Tène, phase C2
(in IIIe-milieu IIe siècle avant notre ère)
LT D1: La Tène, phase D1
(milieu IIe-début Ier siècle avant notre ère.
Vil
© V. Zech-Matterne, CNRS.
LT D1
méture
céréales et légumineuses cultivées,
vers l’émergence de la paniication
Graines de blé carbonisées retrouvées
en fouilles archéologiques.
LT C2
17
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16
Lac
L man
1 : La Tène ancienne (Ve-IVe siècles avant
notre ère): une cohabitation bien perceptible
de systèmes de polyculture et de monoculture
à table
! boire et manger en gaule du nord
dans les cuisines gauloises
19
_
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18
Elles comportent l’apparition de phénomènes de spécialisation
sur certaines céréales à haut rendement, et l’abandon de formes
de gestion plus prudentes, basées sur un grand nombre d’espèces
(polyculture et métures, cultures mixtes dans une même parcelle).
Les cultures mixtes disparaissent progressivement dans le courant
de La Tène moyenne (autour du IVe siècle avant notre ère) (ig. 1).
3 : Sites de la Tène moyenne
(IIIe-milieu IIe siècle avant notre ère)
Amiens
Durant La Tène ancienne, dans les vallées de l’Aisne, de l’Oise et
de la Seine, on observe un regroupement de sites qui favorisent
une grande diversité d’espèces (trois à sept) et un rôle important
des millets, tandis qu’à la périphérie s’amorcent des agricultures
plus spécialisées qui s’appuient sur l’orge vêtue, le blé amidonnier
ou des légumineuses. Dans la mesure où les graphes expriment les
résultats combinés de dizaines de contextes, il ne peut s’agir d’occurrences événementielles ; ces situations traduisent des choix de
culture. Cette prédominance d’orge et de blés vêtus est probablement le fait d’agricultures extensives où alternent cultures céréalières et jachères travaillées. La farine de ces deux céréales, utilisée
seule, n’est pas paniiable, et on les prépare sous forme de galettes
ou de gruaux. La diversité observée dans les sites du Bassin parisien renverrait plutôt à des agricultures privilégiant une mosaïque
d’espèces, relétant des modes de cultures plus intensifs.
Les principales céréales cultivées :
orge vêtue en haut et blé amidonnier en bas.
© V. Zech-Matterne, CNRS.
À partir du IVe siècle avant notre ère, ces polycultures ont disparu
et les sites où prédomine l’orge se généralisent. Les sites de La
Tène B ne comportent pas énormément d’ensembles, mais la quasi
disparition des millets (en rose) peut être notée (ig. 2) et la diversité des cultures ne sera pas retrouvée dans les ensembles de la
Tène moyenne (IIIe siècle) (ig. 3). Ce sont désormais les cultures
d’orge (en vert), d’amidonnier (en jaune) et maintenant d’épeautre
(en rouge) qui prédominent. Ce dernier blé présente les mêmes
contraintes de décorticage mais il peut être utilisé en boulangerie.
2 : Sites de la Tène B (IVe siècle avant notre ère)
Amiens
Compiègne Soissons
Reims
Reims
Reims
Paris
Orléans
Troyes
Reims
Paris
Troyes
Orléans
Si l’on met en perspective ces résultats avec les données archéologiques, palynologiques et carpologiques collectées, on s’aperçoit
que les évolutions observées dans les modes d’exploitation agricoles coïncident avec des changements dans les modes d’occupation du territoire qui ont entrainés des transformations majeures
dans les paysages et fait chuter les taux de boisements14.
Deux grandes vagues de créations d’établissements s’observent,
la première vers 500 avant notre ère et la seconde vers le milieu
du IIe siècle avant notre ère. Le deuxième pic est deux fois plus
élevé en efectifs que le premier. Il présente une simultanéité pour
toutes les régions documentées et implique donc, pour le milieu
du IIe siècle avant notre ère, un impact sur l’environnement sans
commune mesure avec une situation antérieure15. Cette étape
correspond pour la France septentrionale à une évolution des
ensembles carpologiques qui traduit l’abandon des métures et
des polycultures et la généralisation de systèmes extensifs orientés vers les céréales d’hiver alternant avec des jachères travaillées.
Une spécialisation des sites sur les principales céréales, amidonnier, orge vêtue et épeautre, est alors notée. Les transformations
observées dans les systèmes agricoles accompagnent de nouveaux
modes d’occupation des territoires.
À une prédilection pour les vallées, aux Ve et IVe siècles avant notre
ère, succède une appropriation des plateaux, puis d’espaces plus
marginaux, comme les cordons littoraux.
Les données palynologiques mettent en évidence une importante reprise des défrichements au Ier siècle avant notre ère, et une
hausse des activités agropastorales, qui apparaissent beaucoup
plus marquées que celles du Ve siècle16 avant notre ère.
14
Blancquaert et al. 2011
Données issues de l’enquête relative
à l’Âge du Fer, sous la direction
de F. Malrain et G. Blancquaert, Inrap.
16
Données de Leroyer et al.
in Blancquaert et al. 2011
15
Menunormal:porcetmouton(choisirparmicesmorceaux)
à table
! boire et manger en gaule du nord
21
_
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20
ET
Menugastronomique:porcet/oumoutonet/ouboeuf(choisirparmicesmorceaux)et/oupoulet
Le Ier siècle avant notre ère correspond de fait à la mise en place
de zones de culture spécialisée sur des productions bien particulières, à savoir des blés paniiables faciles à nettoyer, destinés à un
commerce céréalier qui approvisionne les villes et les armées.
élevage et viande en gaule du nord
ET/OU
ET/OU
ET/OU
Autourde-350/-200avantnotreère
Véronique Zech-Matterne
CNRS, UMR 7209
OU
OU
Menuéconomique:porcoumoutonouboeuf(choisirparmicesmorceaux)
Autourde-500/-350avantnotreère
Aperçu de l’outillage agricole gaulois, émondoir,
faux, serpette, pelle à feu, Ribemont-sur Ancre
(Somme), Conseil général de la Somme, cuillère
à miel, Musée de Picardie © S. Lancelot, Inrap
Menuéconomique:porcoumouton(choisirparmicesmorceaux)
OU
Vase de stockage de grande taille,
fouilles de Villeneuve-Saint-Germain (Aisne)
© Musée de Soissons M. Minetto
Menunormal:porcetmouton(choisirparmicesmorceaux)
Moulin rotatif en pierre (poudingue) trouvé
sur une ferme gauloise à Illois (Seine-Maritime).
© S. Lancelot, Inrap.
ET
Menugastronomique:porcet/oumoutonet/ouboeuf(choisirparmicesmorceaux)et/oupoulet
ET/OU
ET/OU
ET/OU
Autourde-200/-50avantnotreère
Autourde-350/-200avantnotreère
OU
OU
Menuéconomique:porcoumoutonouboeuf(choisirparmicesmorceaux)
OU
OU
Menuéconomique:porcoupouletoumouton(choisirparmicesmorceaux)
ET/OU
ET/OU
Menugastronomique:porcoupouletaccompagnésdemoutonoudepouletoud'oie
(choisirparmicesmorceaux)
Principales pièces de viande d’élevage
consommées en Gaule du Nord. Dessin. G. Auxiette, Inrap. extrait
du catalogue d’exposition « Celtes et Gaulois, deux chemins vers
l’au-delà », musée de Soissons, 2011
Les principales espèces domestiques (porcs, bœufs,
moutons, chèvres, chiens et chevaux) ont été
apportées dans la région au début du Néolithique
(plus récemment pour les chevaux), par des populations venues de l’extérieur. Ces animaux issus de
sources proche-orientales se sont peu à peu adaptés physiologiquement au climat plus froid et plus
humide de la région, ce qui s’est traduit par une
diminution progressive de leur stature, diminution
qui culmine à l’époque gauloise avec des animaux
de très petite taille. Les hauteurs moyennes au garot
sont ainsi d’environ 55 cm pour les moutons, 105
cm pour les vaches et 115 cm pour les bœufs au
début de la période gauloise.
Ces espèces domestiques élevées sur place depuis
plusieurs millénaires constituent la base de l’alimentation carnée, y compris le cheval et le chien. La
viande de porc – animal de boucherie par excellence
– est privilégiée de façon générale, bien que dans
certains contextes (aristocratiques ou religieux), les
jeunes bovidés semblent particulièrement appréciés. Des domestications plus récentes apportent des
compléments assez modestes : c’est le cas du coq, et
la question se pose pour le canard et l’oie sans certitude déinitive pour l’instant. La chasse quant à elle
est tout à fait marginale (environ 5 % de la viande
consommée). Elle concerne principalement les
cervidés et les lièvres, beaucoup moins le sanglier
dont la chasse est rendue dangereuse par son naturel agressif. Il est probable que cette activité cynégétique soit réservée à l’aristocratie guerrière, au moins
pour le gros gibier.
L’élevage tient donc une part importante dans l’agriculture gauloise ; des parcs à bestiaux sont d’ailleurs fréquemment observés aux abords des fermes
indigènes. La petite taille des espèces locales, l’absence de concentrations humaines importantes
dans la région pouvant fournir un débouché aux
surplus, suggèrent que cet élevage reste destiné
pour l’essentiel à une consommation sur place,
dans les établissements agricoles, ou sur les sanctuaires lors de banquets regroupant tout ou partie
de la communauté.
Stéphane Dubois
Inrap, UMR 7041 ArScAn
à table
! boire et manger en gaule du nord
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22
conserver les aliments : les sels du nord
un déséquilibre physiologique. L’excès de potasse
amené par les végétaux devait être compensé par un
apport en chlorure de sodium.
Dans l’Antiquité, le sel (natif ou produit par l’homme)
présentait des caractères diférents qui variaient selon les
pays d’origine et les techniques de préparation : couleur,
aspect, degré de sécheresse et de solubilité, goût.
Reconstitution du four à sel de Pont-Rémy
en cours de fonctionnement. © D. Bossut, Inrap.
L’histoire du sel est étroitement liée à l’expansion
des grandes civilisations. De l’Egypte à la Chine, de
l’Afrique noire à l’Amérique précolombienne, le sel
constituait, pour le peuple qui le contrôlait, un des
garants du pouvoir et de la stabilité d’une nation.
Mais avant tout, il est un condiment indissociable de
la cuisine, moderne mais aussi antique, période où la
cuisine telle qu’on la pratique aujourd’hui a vu le jour.
L’alimentation de l’homme préhistorique, riche en
protéines (viande et laitage), fournissait une ration
de chlorure de sodium suisante pour les besoins
physiologiques, mais l’entrée de l’humanité dans
le Néolithique a changé les choses. Les évolutions
alimentaires débouchant vers la fabrication de
bouillies et la consommation de céréales ont entrainé
Tout comme aujourd’hui, les Anciens appréciaient le
sel blanc, sec, friable et piquant qui se prêtait mieux
aux besoins de la cuisine et de la médecine. Pline
l’Ancien nous dit que les hommes ne peuvent vivre
sans sel, c’est un élément nécessaire à leur existence.
Son importance revêtait aussi un caractère divin, les
Romains ne faisaient aucune ofrande à leurs dieux
sans qu’y igurât un gâteau salé, mola salsa.
Grecs et Romains utilisaient le sel, dans leur
alimentation, de diférentes manières : d’abord comme
condiment, ils en saupoudraient leurs plats pour
leur donner plus de saveur. Aussi, ils fabriquaient
des sauces avec les intestins de certains poissons,
maquereaux et thons, marinés dans une saumure,
procédé identique à celui de la célèbre sauce
vietnamienne nuoc-mâm. Ces sauces, garum et muria,
étaient très prisées comme le montre les quantités
impressionnantes de leurs emballages, des amphores,
découverts lors de fouilles archéologiques. Enin, le sel
était aussi employé pour la préparation des conserves
de viandes et de poissons.
D’après un vieux proverbe latin, il n’y a rien de plus
utile à la santé que le sel et le soleil. Le sel était un
élément fondamental de la médecine antique, et était
ainsi prescrit par les médecins, soit seul, soit associé à
d’autres substances. Ses propriétés, pour les médecins
antiques, sont nombreuses : il donne de l’appétit,
guérit des morsures de serpents, de scorpions, de
guêpes, soigne les verrues, les abcès, les brûlures,
les maux de dents, les coliques, la goutte, la ièvre,
la toux…
des saumures (eaux saturées en sel) directement sur
des foyers ain d’en extraire du sel cristallisé mais aussi
des cendres salées. Cette technique avait été décrite
par Pline l’Ancien pour décrire une pratique des Celtes.
La technique a évolué jusqu’à la mise en place de
véritables ateliers de production de sel, sur la façade
littorale nord et atlantique, à la période gauloise. Des
ateliers ont été découverts très loin des côtes. C’est
le cas de celui mis au jour lors de la fouille de la ZAC
d’Actiparc, à Saint-Laurent-Blangy, près d’Arras par A.
Jacques et G. Prilaux, à 80 km du rivage actuel. L’atelier
était intégré dans un vaste domaine aristocratique
gaulois, témoignant de l’importance politique et sociale
de cet élément, véritable baromètre sociétal.
Une fouille récente illustre plus particulièrement ce
phénomène d’éloignement du rivage marin, avec le cas
de la ferme gauloise de Campagne (Oise), découverte par
Sabrina Sarrazin dans le cadre des travaux de percement
du canal Seine-Nord Europe. Cette fouille a révélé des
indices importants de la production de pains de sel sur
un site distant de plus de 130 km de la Manche.
Gilles Prilaux et Cyrille Chaidron
Inrap
Godet à sel en terre cuite,
atelier de saunier de Conchil-le-Temple
(Pas-de-Calais) © D. Bossut, INRAP
Escaut
16
17
18
Ménapes
Ateliers de sauniers et sites
d’utilisation du sel en Gaule du Nord.
Morins
© C. Chaidron, Inrap.
19
15
20
14
12
11
10
7
13
8
Atrébates
9
6 5
Nerviens
bre
Sam
21
22
4
So
m
m
e
3
Oise
Ambiens
Calètes
2
Viromanduens
1
Limite supposée de cité
Ambiens
Nom de peuple
Sites de production
Sites fouillés après les travaux de l’A16
le sel dans le nord de la gaule
Sites connus avant les travaux de l’A16
Sites de consommation
En France, les témoignages les plus anciens liés à la
production de sel, à Gouhenans (Haute-Saône17), se
placent dans des contextes datés du Ve millénaire
avant notre ère. Le procédé consistait alors à verser
La multiplication des fouilles archéologiques et la
spécialisation de quelques chercheurs sur ce sujet
ont permis de comprendre plus précisément la chaîne
opératoire. L’obtention de sel, ici, se fait par le feu,
et non, comme c’est le cas sur les marais salants, par
le soleil et le vent. Le sel était fabriqué en pain dans
des godets (en céramique), permettant de calibrer
parfaitement la quantité de sel. Ces pains étaient
obtenus après cristallisation d’une saumure versée
dans ces récipients, posés sur une grille en terre
cuite. La grille reposait sur une fosse dans laquelle
se trouvaient les cendres permettant l’accélération
du phénomène de solidiication. Ces fourneaux sont
caractéristiques du Nord de la France, certains ont des
dimensions telles qu’ils sont les plus grands découverts
en France (fouilles de l’autoroute A16/Nord, entre
Amiens et Boulogne-sur-Mer).
1 Campagne
12 Airon St Vaast
2 Croixrault
13 Sorrus
3 Vignacourt
14 Etaples
4 Pont-Rémy
15 Camiers
5 Arry
16 Marck
6 Rue
17 Steene
7 Vron
18 Looberghe
8 Nampont
19 Thiennes
9 Gouy-St-André
20 Noyelles les Seclin
10 Conchil-le-Temple
21 Saint-Laurent-Blangy/Actiparc
Aisne
Bellovaques
Véliocasses
Oise
Suessions
Se
in
e
0
17
Grassias et al. 2006
Rèmes
50
100 km
à table
! boire et manger en gaule du nord
dans les cuisines gauloises
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Récipients du service à boire : à gauche vasetonnelet en céramique peinte découvert à Ercheu
(Somme), à droite vase balustre en céramique ine
tournée d’Arras (Pas-de-Calais). © S. Lancelot, Inrap
modes et instruments de cuisson
Elégants vases à panse moulurée destinés
à la consommation des aliments, Amiens site
«Intercampus» DRAC de Picardie, service
régional de l’archéologie. © S. Lancelot, Inrap.
et M.Redouane (service archéologique de la ville d’Arras).
Lors de la fouille de sites gaulois, que ce soit des fermes, des hameaux, des villages, des villes, des lieux sacrés ou des nécropoles,
parmi les vestiges qui se sont conservés jusqu’à nos jours, la céramique est le mobilier le plus souvent découvert car c’est un matériau qui résiste bien aux afres du temps. Mais son omniprésence
résulte également des diférents usages qui étaient alors en vigueur.
Vaisselle gauloise en terre cuite : écuelles et
pots à cuire du site de Marcelcave (Somme),
DRAC de Picardie, Service régional
de l’archéologie. © S. Lancelot, Inrap.
Dans les tombes, des vases en terre cuite sont déposés en ofrande
auprès des défunts, dans les sanctuaires les récipients font l’objet
de bris volontaires après des cérémonies puis sont enfouis dans
le sol, dans les habitats les débris de vaisselles cassées sont rejetés
dans les fossés ou dans des fosses à proximité des maisons lors de
leurs nettoyages. Selon ces contextes de découvertes, les récipients
céramiques sont soit entiers, soit fracturés ou cassés en de mul-
tiples fragments, des tessons, constituant autant d’éléments d’un
puzzle en 3D que l’archéologue devra patiemment remonter. Cette
persévérance est bénéique car elle lui permettra au fur et à mesure
de l’assemblage des morceaux de relever de multiples traces, indices scrupuleusement relevés, qui à termes permettent de relater
l’histoire et l’usage du récipient.
Outre la collecte de l’argile et les diférentes opérations nécessaires
à son utilisation comme la décantation et/ou l’ajout de particules
de natures variées (végétaux, calcaire, grains de sable, chamotte…)
qui lui permettent une meilleure résistance lors de la cuisson, l’histoire du récipient commence à sa confection. La qualité de l’argile
utilisée, ine ou grossière, que l’on peut observer en coupe dans la
tranche des tessons, permet une première classiication. La forme
de la céramique que le potier réalise répond à l’usage auquel elle
est destinée, une forme basse et ouverte est plutôt dévolue aux
aliments, tandis qu’un vase, haut et fermé est plus adapté aux
liquides. L’utilisation d’un tour ou le modelage, laissent des stig-
à table
! boire et manger en gaule du nord
Une partie de la vaisselle était en bois ;
elle a en général totalement disparu, sauf
conditions de conservation exceptionnelles :
écuelle en bois (érable) et cuillère (frêne ?)
de Sorrus (Pas-de-Calais), Musée d’Opale sud ,
Berck-sur-Mer ©. G. Dilly.
mates caractéristiques du mode opératoire choisi par le potier, de
ines stries et des formes relativement standardisées signent ainsi
l’usage du tour. La gamme créée par les artisans, dont certains sont
de véritables spécialistes, est étendue. Elle répond à la demande des
consommateurs et recouvre de multiples usages dont les ustensiles
de cuisines et le service de table occupent une place prépondérante, mais d’autres fonctions comme des brûles parfum, des pots à
onguents ou à pigments, des lampes à huiles … ne sont pas à négliger. Pas plus qu’une utilisation agropastorale ou artisanale des produits obtenus à partir d’argile ne peut être exclue. Les conteneurs
permettant la confection de pain de sel calibré, produits à grande
échelle, à la in de la période gauloise, en attestent clairement.
La batterie de cuisine qui équipe les ménages gaulois compte une
grande variété de formes et de styles. Par analogie avec la notre, il
est possible de les classer en trois grandes catégories : consommer,
préparer/présenter et stocker, mais l’usage de certains récipients
pouvait certainement être polyvalent, ainsi une écuelle pouvait
être utilisée en couvercle, tout comme un bol pouvait contenir des
aliments ou des boissons.
Les pots, de forme trapue et à l’ouverture resserrée, devaient être
utilisés pour la préparation des repas. Leur volumes de plusieurs
litres, permettait de faire cuire des bouillies de céréales, des ragoûts
mijotés ou encore des quartiers de viande bouillis. Les marques de
passages au feu répétés sont parfois visibles sur leurs parois externes, tandis que leur intérieur peut contenir des restes de nourritures carbonisés qui se sont conservés jusqu'à nos jours. Ces
caramels alimentaires se localisent préférentiellement à l’intérieur
des vases et constituent une source d’information, par leur analyse
chimique, pour distinguer si les aliments cuisinés étaient d’origine
animale ou végétale.
Les écuelles, de diamètres variés, ont pu être utilisées comme assiette individuelle ou, pour les plus grandes, de plats de présentation lors du service des mets. Elles sont accompagnées de récipients de petits volumes destinés à la consommation de boisson,
des gobelets. Des récipients élancés au col refermé, contenaient
des liquides, tandis que d’autres un peu plus ouverts ont été utilisés
pour bouillir de l’eau comme nous l’enseigne les dépôts calcaires
dans les cuisines gauloises
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qui se sont déposés, à l’intérieur, au niveau de leur col. Des céramiques dans le fond desquelles ont été ménagées des petites perforations ont pu servir à égoutter des aliments, à iltrer ou encore
à des préparations fromagères, à l’instar des faisselles actuelles.
Cet équipement se complète de récipients aux capacités volumétriques importantes de 90 à 100 litres, dans lesquels les aliments
étaient conservés au sein des maisons avant leurs utilisations. Là
encore, l’observation attentive des surfaces permet de caractériser
leur usage, c’est ainsi que l’altération des parois sous formes d’importantes vacuoles à l’intérieur des vases, atteste de saumure ou de
salaison. Cet équipement en céramique devait s’accompagner de
vaisselles en bois, en lignite et de vanneries dont il ne subsiste que
de rares traces.
Les enseignements que livrent les vestiges des récipients céramiques ne se limitent pas à leur utilisation dans la sphère domestique, ils attestent aussi de rangs sociaux nettement marqués. La
combinaison de plusieurs facteurs comme le pourcentage d’exemplaires tournés, de vases importés, la qualité du façonnage, de la
inition et la richesse du répertoire décoratif témoigne d’une vaisselle de qualité réservée aux plus aisés. À l’inverse, des récipients
plus frustres, peu décorés, réparés et utilisés plus longtemps appartiennent à la plèbe. Dans les milieux les plus riches, à la céramique
d’apparat sont associés des objets en bronze ou en fer destinés à la
préparation ou à la cuisson du repas comme les chaudrons et leur
fourchette, des landiers, des crémaillères, des grils, des couteaux,
de la vaisselle métallique ainsi que des céramiques copiées sur des
formes méditerranéennes importées ou inspirées de la vaisselle
métallique. C’est aussi dans ces habitats que l’on trouve des amphores vinaires, emballage perdu du précieux nectar qu’elles ont
contenu. À cette période, les amphores cheminent à un rythme
soutenu de la Méditerranée jusqu’aux contrées septentrionales où
elles sont réglées en numéraire ou échangées contre un esclave...
Liées à des banquets, leur nombre se trouve encore avec plus de
profusion dans les sanctuaires. Là, à la suite de repas sacrés durant lesquels le vin était consommé et versé en libation, certaines
amphores étaient brisées rituellement, leur col sabré d’un coup de
lame et leur panse brisée avant d’être enfouis dans des fosses accompagnées d’autres mobiliers utilisés lors des cérémonies.
François Malrain,
Inrap, UMR 8215 Trajectoire ArScAn
à table
! boire et manger en gaule du nord
dans les cuisines gauloises
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_
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28
équipement de banquet de l’aristocratie
gauloise.Instruments destinés à la cuisson
grillée :
A : Chenets en fer de Poulainville (Somme),
DRAC de Picardie, Service régional de
l'archéologie © S. Lancelot, Inrap
B : Chenets en terre cuite, et crémaillère d’Arras,
grill de Saint-Laurent-Blangy, fouilles Alain
Jacques (Service archéologique d’Arras),
© G. Prilaux, Inrap, M. Redouane, SAM Arras
C : Chaudron reconstitué de la sépulture
aristocratique de Cizancourt/Licourt,
Somme : reconstitution Jean-Marc Gillet,
© D. Roussel musée de Soissons
D : Fourchette à chaudron de Bucy-Le-Long,
© Musée de Soissons, cl. M. Minetto
A
C
B
D
à table
! boire et manger en gaule du nord
31
_
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les vases peints d’eterpigny
Deux vases à décor zoomorphe ont été mis au jour
lors de la fouille d’Eterpigny-Barleux (Somme). Ils sont
issus d’une tombe monumentale de la in de l’époque
gauloise.
Le vase mesure une trentaine de centimètres de
hauteur. Il est recouvert d’un engobe blanchâtre.
Le décor est réalisé « en réserve », par l’application
d’une peinture noire. Àinsi les motifs apparaissent en
négatif : blancs sur fond noir. Sous le col et à la base de
la panse, des bandes parallèles constituées de lignes
blanches et de cercles délimitent une frise où trois
chevaux regardent à droite. Le contour de chaque
animal est souligné par un trait noir et l’espace entre
chaque cheval est rempli de cercles et de points blancs.
Les proportions des animaux ne sont pas respectées.
Les dimensions du poitrail et de l’arrière train sont
exagérées, le dos et le ventre sont resserrés, la tête
est ine et les oreilles pointent en avant, les pattes
sont élancées et iliformes. La taille de la queue est
démesurée et revient au dessus du dos sous l’aspect
d’une volute.
Dans cette partie de la Gaule Belgique, cette
découverte est exceptionnelle car à peine dix
vases à décors zoomorphes sont connus à ce
jour, principalement mis au jour sur le territoire
du peuple des Rèmes. Plusieurs de ces vases ont
malheureusement été détruits au cours de la première
guerre mondiale. Les deux vases trouvés sur le
territoire des communes d’Eterpigny et de Barleux
appartiennent à un style « Champenois » déini par
comparaison aux trouvailles plus anciennes dans cette
région. Essentiellement issus du contexte funéraire,
les vases peints participeraient, selon de nombreux
auteurs, au service du vin, associés à de la vaisselle
en bronze, des amphores, des seaux… Les deux vases
d’Eterpigny-Barleux peuvent être datés dans une
période couvrant la in du IIe siècle et le tout début du
Ier siècle avant notre ère.
Didier Lamotte
Inrap, URM Artehis 6298
Vases peints aux chevaux d’Eterpigny (Somme),
DRAC de Picardie, Service régional de l’archéologie,
© S. Lancelot, Inrap
à table
! boire et manger en gaule du nord
le poêlon d’eterpigny
Le poêlon découvert dans une tombe de la nécropole
d’Éterpigny (Somme) est de type Aylesford par son
bord plat et large, son décor en arêtes de poisson et
son manche zoomorphe. À l’époque tardo-républicaine
(vers le milieu du Ier siècle avant notre ère) ce type a été
largement difusé à partir des centres de production
d’Italie du nord, témoignage d’échanges commerciaux
et culturels. De grande valeur, la vaisselle en bronze
importée voit sa durée de circulation prolongée hors
des aires de productions. Majoritairement découverte
en contexte funéraire, l’objet utilitaire devient marque
de prestige et est généralement interprété par les
archéologues comme un ustensile destiné au mélange
du vin et /ou aux ablutions, à l’instar de ce poêlon.
Cependant, tout porte à croire que l’usage premier de
l’ustensile dans un cadre domestique était la cuisson
des aliments : avec l’emploi d’un support en fer (gril,
trépied,…) limitant la température de chaufe, les
poêlons sont tout aussi adaptés à saisir les aliments
comme le permet leur panse bombée. Pour exemple,
une tombe de Goeblange-Nospelt (Rhénanie) a livré
un poêlon plongé dans un chaudron qui contenait à
l’origine des morceaux de viande
Alexia Morel
Inrap
dans les cuisines gauloises
33
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32
de timides inluences méditerranéennes
en gaule septentrionale
La Gaule méditerranéenne (Provence et Languedoc) a connu dès
le VIIe siècle avant notre ère des inluences marquées des civilisations voisines (étrusque, grecque et punique). Ce phénomène s’est
ampliié vers 600 avant notre ère, avec la fondation de Marseille
par des colons grecs venus de Phocée. L’inluence marseillaise s’est
alors étendue rapidement le long de l’axe Rhône-Saône et jusqu’au
Rhin via la vallée du Doubs.
À partir du IIe siècle avant notre ère, l’inluence romaine se substitue
à celle de Marseille. En efet, plusieurs générations avant la Conquête
romaine, les importations de produits italiens ou de tradition italique
sont fréquentes chez les peuples gaulois de la vallée du Rhône, du
plateau suisse, des bassins de la Saône et du Doubs. Il s’agit principalement de vin de la côte tyrrhénienne de l’Italie (Etrurie, Latium et
Campanie), transporté en amphores, mais aussi de vaisselle de table
destinée à la consommation des aliments et à la boisson : coupes et
coupelles, plats, gobelets, cruches, passoires à vin.
Ces inluences méditerranéennes se traduisent également par la
difusion de l’usage du tour de potier. Cette nouvelle technique de
fabrication céramique permet d’obtenir des récipients plus ins et
plus élégants que le modelage pratiqué traditionnellement depuis
le Néolithique. Les poteries tournées représentent déjà 10 % de la
vaisselle en Alsace vers 500 avant notre ère, une proportion qui
monte progressivement jusqu’à 70 %, en Gaule du Centre et de l’Est,
au moment de la Conquête de la Gaule par César, vers 60-50 avant
notre ère.
Bassin en bronze d’origine méditerranéenne,
Bucy-le-Long (Aisne), IIe siècle avant notre ère.
© M. Minetto, Musée de Soissons
Poêlon en bronze à tête de cygne d’Eterpigny,
DRAC de Picardie, Service régional de l’archéologie, © S. Lancelot, Inrap.
à table
! boire et manger en gaule du nord
dans les cuisines gauloises
Le nord-ouest de la Gaule est resté très en retrait par rapport à ces
inluences marseillaises puis romaines. La vaisselle tournée n’apparaît que tardivement, sans doute vers la in du IIIe siècle sinon la
première moitié du IIe siècle avant notre ère, et ce phénomène demeure assez limité : la vaisselle tournée atteint rarement 10 % de la
céramique sur les habitats ruraux de nos contrées septentrionales,
proportion qui tend à augmenter à mesure que l’on approche de
la Champagne et de l’Ile-de-France. La céramique modelée reste
encore très largement majoritaire dans les deux ou trois décennies
qui suivent la Conquête romaine du Belgium par César en 57 avant
notre ère ; elle disparaît ensuite brutalement, en l’espace d’une ou
deux décennies, sur la grande majorité du territoire, avec l’émergence de multiples ateliers généralisant l’usage du tour de potier.
De même, l’intégration des pratiques alimentaires méditerranéennes témoigne d’un rythme beaucoup plus lent que ce qui peut
être observé en Gaule centrale. Avant la Conquête romaine, les
apports italiques se limitent à quelques exceptionnels récipients
métalliques, et de petites quantités d’amphores à vin, que l’on relève à raison d’un ou deux exemplaires sur la plupart des établissements agricoles. La vallée de l’Aisne fait exception avec des quantités nettement plus élevées, notamment sur les centres de pouvoir
des Suessions (région de Soissons) et des Rèmes (région de Reims,
avec les oppida de Pommiers et Variscourt, le sanctuaire de Braine
et quelques fermes aristocratiques).
35
_
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34
singuliers où l’inluence romaine se fait plus particulièrement sentir : des sites à caractère militaire (La Chaussée-Tirancourt dans la
Somme, Saint-Laurent-Blangy sur le site d’Actiparc dans le Pas-deCalais), des centres politiques et économiques (oppida de la vallée
de l’Aisne), ou à vocation religieuse (Ribemont-sur-Ancre dans la
Somme, Braine dans l’Aisne), ainsi que dans une moindre mesure
quelques résidences aristocratiques rurales. Ces apports se traduisent souvent par des amphores vinaires et quelques premiers
témoignages - rarissimes - de l’importation d’huile d’olive et de
sauces de poisson espagnoles. Outre ces produits alimentaires, on
voit apparaître en très petites quantités de la vaisselle de table et de
cuisine. Le service de table italien, à vernis noir (plats, coupes et
coupelles) n’est connu dans le nord de la France que par une poignée d’exemplaires, tout comme les céramiques à parois ines, les
premières cruches, les mortiers de cuisine, les faitouts et les plats
à four. Ces éléments tout à fait exceptionnels ne semblent pas être
arrivés dans la région par voie commerciale, mais ont plus vraisemblablement fait partie des bagages de populations venues de
zones déjà romanisées.
A
Vase culinaire tripode dans la tradition
méditerranéenne, mais en céramique modelée
régionale; sanctuaire de Ribemont-sur-Ancre
(Somme), © G. Fercoq du Leslay, CG Somme
et S. Lancelot, Inrap.
A : Photo d'un fragment
B : Dessin
La Conquête césarienne ne modiie guère le caractère limité de ces
contacts commerciaux. Durant une génération (trente à quarante
ans), la situation reste inchangée, en dehors de quelques sites très
CANTIACI
MENAPI
B
REGNI
MORINI
ATREBATES
Importations des amphore à vin italien
de type Dressel 1 dans le nord-ouest de la Gaule
(à gauche: exemplaire complet découvert
sur la ferme gauloise de Glisy, Somme).
Dessin B. Béthune..
NERVII
Parallèlement se mettent en place dès cette époque de petites productions régionales de vaisselle de table, la terra nigra, imitant la
vaisselle campanienne. Le fait est avéré en Champagne, mais des
indices relevés notamment autour d’Arras et de Cambrai suggèrent
une fabrication dans le nord-ouest de la Gaule, à plus petite échelle.
AMBIANI
Catuslugi ?
VIROMANDVI
CALETI
REMI
BELLOVACI
VELIOCASSES
LEXOVII
Sulbanecti
Les occupations rurales plus traditionnelles, qui constituent la très
grande majorité des sites de cette période en Gaule du nord-ouest,
montrent en revanche une continuité très marquée de la tradition
gauloise. Les inluences méditerranéennes n’y font une percée signiicative que bien après la conquête romaine, vers 20/10 avant
notre ère.
SVESSIONES
AVLERCI
EBVROVICES
Meldi
CARNVTI
PARISII
Diffusion des amphores à vin italiques (forme Dressel 1) dans le nord-ouest de la Gaule
Carte C. Chaidron, S. Dubois
Cyrille Chaidron, Stéphane Dubois
Inrap, UMR 7041 ArScAn
à table
! boire et manger en gaule du nord
37
_
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36
quelques recettes
potentielles proposées par
anne flouest et Jean-paul romac
d’après a. flouest et J.-p. romac,
la cuisine gauloise continue,
saint-pourçain-sur-sioule :
Bibracte et Bleu autour
Bouillie de gauloise débutante
lentilles au lait et aux pissenlits
crème mont-Beuvray
Bluter de l’épeautre et de l’orge, moudre un bol de
céréales (la mouture est déterminante pour la suite),
mélanger la farine à de l’eau et cuire doucement, est à
la portée de toute jeune Gauloise, même débutante.
Faire bouillir du lait, le refroidir en le coupant avec
autant d’eau fraîche.
Ceci n’est pas une crème Mont-Blanc !
Elle obtient une bouillie tout juste bonne à nourrir ses
petits frères ou à éconduire un soupirant. En réalité,
cette bouillie est à la base de nombreuses préparations,
à condition de bien choisir les céréales, la mouture et
les accommodements.
La bouillie cuite peut être grillée ou rissolée le
lendemain, ou être pochée dans un bouillon.
Remplacer l’eau par du lait donne aussi de bons
résultats.
Mettre les lentilles dans un pot avec l’oignon
grossièrement coupé, les carottes en rondelles et la
poitrine demi-sel ou fumée en morceaux, couvrir à
hauteur avec le lait coupé tiède, saler, ajouter deux
rondelles de raifort, quelques herbes.
Couvrir avec un bouchon de pissenlits, les pissenlits
cuiront à la vapeur (délicieux, faut-il rappeler qu’ils
seraient les ancêtres des endives ?) et éviteront que
les lentilles ne sèchent. Dans une certaine mesure, le
bouchon évitera au lait bouillant de déborder.
Mettre le pot avec son couvercle au coin du feu et
laisser cuire une heure.
Faire bouillir le lait avec les baies séchées d’argousier,
laisser infuser, iltrer selon les goûts, ajouter une
pincée de sel, refaire bouillir, ajouter le miel.
Mélanger les œufs avec la leur d’avoine et la farine,
étendre avec un peu de lait froid.
Verser progressivement le lait bouillant en remuant,
faire cuire jusqu’à épaississement.
Verser dans une terrine graissée et placer au coin du
feu. La préparation doit devenir presque solide (le
doigt ne doit pas enfoncer) C’est chaud.
Laisser refroidir et servir. L’intérieur est juste à la
consistance d’une gelée épaisse. Variantes : on peut
changer de parfum en remplaçant les baies par des
leurs de sureau séchées, des myrtilles séchées, de
l’angélique râpée, un peu de tanin de chêne…
à table
! boire et manger en gaule du nord
le modèle romain : héritage et creuset
de toutes les civilisations de l’empire romain
un âge d’or : le jardin et le saloir
Rome, columbarium de la villa Doria Pamphili.
Peinture murale, vers 20 avant notre ère.
Cliché N. Blanc, A. Nercessian
© Extrait de La cuisine romaine antique
Asarotos oecos «salle à manger non balayée»
Mosaïque, époque d’Hadrien.
Musée du Vatican.Cliché N. Blanc, A. Nercessian
© Extrait de La cuisine romaine antique
La vision traditionnelle du vieux romain, mangeur de bouillie et
de raves, est une construction symbolique, élaborée par les philosophes et moralistes du Ier siècle, nostalgiques d’un âge d’or mythique où chacun pouvait se nourrir des produits de son jardin.
La frugalité propre à toute société paysanne sera rétrospectivement érigée en modèle de vertu politique et privée, illustrée par
l’image de Cincinnatus quittant la charrue pour aller défendre la
patrie. Mais il est vrai que le régime alimentaire de l’Italie romaine
fait la part belle aux légumes traditionnels (choux, poireaux, bettes,
pois et raves), qui, avec les céréales et les légumineuses, forment la
base de l’alimentation, à laquelle s’ajoute une quantité de verdures
sauvages consommées fraîches « en vinaigrette », cuites, séchées
ou conservées en saumure, certaines servant de condiment aux
autres : laitues, chicorées, roquette, mauve, maceron, carotte, arroche, tamier, céleri, pouliot, rue, livèche.
Caton, dans De agricultura, (vers 180 avant notre ère) présente des
gâteaux rituels sucrés au miel et mêlés ou garnis de fromage frais,
qui célèbrent l’abondance mais pas la gastronomie. La consommation de la viande se borne à celle des animaux sacriiés aux dieux
les jours de fête et au porc, le seul animal élevé pour la boucherie, le
plus souvent salé ou salé/fumé. Les morceaux de choix ne sont pas
toujours les nôtres : «C’est aujourd’hui mon anniversaire, [dit un
personnage de Plaute], tu auras soin de mettre dans l’eau un jambon, une couenne, des ris de porc, une tétine» (Pseud., I 165-166).
Mais le plus prisé, et le plus cher, est la matrice d’une femelle stérile
ou qui n’a pas encore porté : elle igure dans trois préparations différentes dans le banquet de prise de fonction de Lentulus comme
Flamine de Mars au début du Ier siècle avant notre ère (Macrobe, Sat.
II, 9).
l’intégration du modèle hellénistique
Au contact du monde hellénistique, les modes de vie changent.
Avec les conquêtes, le luxe de la table est devenu un indice du statut
social et culturel, au même titre que les vastes propriétés et les collections d’œuvres d’art. Nombreux sont les traités culinaires dont le
plus célèbre, et le seul conservé, est attribué au légendaire Apicius,
un proche de l’empereur Tibère. C’est un gros recueil de 468 recettes que la langue assez homogène permet de dater, du IVe siècle
de notre ère. De fait, le texte qui nous est parvenu est une compilation constituée d’apports successifs dont il est diicile de déchifrer
la stratigraphie et qui forme, autour d’un noyau sans doute daté du
Ier siècle, une synthèse de ce que fut la cuisine de l’Empire.
vers la cuisine gallo-romaine
39
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vers la cuisine
gallo-romaine
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38
La mode agit comme un ressort économique pour les Romains qui
ont exploité très tôt leurs domaines avec un sens aigu du proit.
Ainsi Caton recommande la culture de l’asperge car elle est d’un
très bon rapport si la villa est proche d’un marché citadin, conseil
entendu jusque dans les Gaules où des aspergeraies ont été fouillées en Bourgogne, à Gevrey-Chambertin. Les Res rusticae de Varron (116-27 avant notre ère) se font l’écho des mutations profondes
introduites dans la villa rustica, avec ces nouvelles installations. Le
plus emblématique est le développement des viviers qui marque
l’introduction du poisson, un goût importé du monde grec dans un
régime paysan et terrien. Des entrepreneurs avisés établissent des
réserves piscicoles où le poisson de roche est à disposition même
par mauvais temps, tandis que d’autres élèvent des huîtres dans des
ostrearia : les réserves de chasse (leporaria) fournissent des lièvres,
mais aussi de grosses pièces, cerfs, chevreuils, et surtout des sangliers, le mets indispensable des tables rainées : sa vogue donne
lieu à de tels excès que des Lois Somptuaires tenteront à plusieurs
reprises d’en limiter la consommation. Pintades, faisans, paons
sont engraissés dans des volières, avec le gibier à plume local. Parallèlement, les jardiniers acclimatent la cerise venue du Pont et
améliorent les fruits par la grefe et la sélection. Parmi les produits
nouveaux, les deux plus luxueux sont le poivre et le garum, une
sauce de poisson proche du nuoc mam asiatique, qui sale toutes les
recettes d’Apicius ; c’est l’indice par excellence du niveau de cuisine, même s’il se décline dans toutes les qualités, et il demeure un
marqueur de la civilisation romaine jusqu’à la in de l’Antiquité.
Comestibles de luxe. Mosaïque (très restaurée).
De Rome (Tor de Marancia). Musée du Vatican.
Cliché N. Blanc, A. Nercessian
© Extrait de La cuisine romaine antique
Volaille bridée. Mosaïque d’El Jem (Tunisie).
Deuxième moitié du IIe siècle
de notre ère. Centre H. Stern de recherche
sur la mosaïque CNRS, UMR 8546
Fruits frais dans une coupe de verre. Pompéi.
Peinture murale, détail. Vers 70 de notre ère.
Naples, Musée national archéologique.
Cliché N. Blanc, A. Nercessian
© Extrait de La cuisine romaine antique
à table
! boire et manger en gaule du nord
«World food» et empire
Rome, au centre d’un vaste empire, voit converger tous les produits
du bassin méditerranéen, voire au-delà. On importe les épices - le
poivre d’Inde, le silphium de Cyrénaïque remplacé au Ier siècle par le
laser Parthe - ou certains fruits exotiques, comme les dattes d’Afrique
du Nord, mais aussi des denrées qui, bien que devenues indigènes
sont réputées supérieures dans leur pays d’origine: le cumin d’Espagne et d’Ethiopie (Pline 19,161), les conserves de poissons du Pont
(Athénée, 275a; Stace, Silv. 4, 9,13) et les célèbres prunes, damascena, ofertes en cadeau de Saturnales (Martial, 13,29).
Service à boire en argent. Peinture murale.
Pompéi. Tombe de Vestorius Priscus, édile
en 75-76 de notre ère. Cliché N. Blanc,
A. Nercessian © Extrait de La cuisine romaine antique
On sélectionne les variétés et les espèces pour une élite qui se
latte de distinguer au goût la provenance des denrées. On privilégie pour l’élevage les escargots venus d’Illyrie ou d’Afrique, plus
gros et plus féconds. En Italie même, le Picenum produit les meilleures olives (Martial 5, 78,19-20) et l’huile de Liburnie jouit d’une
telle faveur qu’on cherche à l’imiter en « corrigeant » de l’huile
d’Espagne (Apicius, I 4). Des villes sont célèbres pour un produit
auquel leur nom est attaché : les asperges de Ravenne (Pline 19,
52-58), l’oignon d’Ascalon en Syrie (sans doute l’ancêtre de l’échalote), le miel du mont Hymette à Athènes et le garum de la Compagnie, produit à Carthagène (Espagne), réputé le meilleur (Pline
31,94; Martial 13,102) et dont des amphores ont été retrouvées dans
tout l’Empire. Plusieurs spécialités font la renommée de la Gaule,
comme les poissons salés d’Antibes (Pline 31,94) ou les quartiers de
porc séquanes, déjà mentionnés par Strabon (IV 3,2).
Nicole Blanc
Ecole Normale Supérieure, UMR 8546 AOROC
Anne Nercessian
CNRS, UMR 7041 ArScAn
Scène de banquet.Peinture murale. Pompéi,
maison des Chastes amants. Triclinium [9], mur
est. Troisième quart du Ier siècle de notre ère.
Cliché N. Blanc, A. Nercessian
© Extrait de La cuisine romaine antique
Textes
Apicius: Apicius, De Re Coquinaria
Athénée: Athénée, Deipnosophistes
Macrobe, Sat: Macrobe, Saturnales
Martial: Martial, Epigrammes
Pline: Histoire Naturelle
Pseud.: Plaute, Pseudolus
Stace, Silv.: Stace, Silves
Strabon: (Géographie)
vers la cuisine gallo-romaine
41
_
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40
l’ouverture de la gaule du nord
à de nouvelles productions vivrières
des changements fondamentaux
dans l’agriculture céréalière
Les analyses de restes archéologiques de fruits et graines découverts dans les dépotoirs, les réserves, les fours et les structures
d’habitat de sites du nord de la Gaule, datés du tout début de la
période romaine, nous apportent des informations quant aux nouvelles habitudes alimentaires qui se mettent en place durant cette
période.
Les agricultures protohistoriques privilégiaient, en France septentrionale, le blé amidonnier et l’orge vêtue, deux espèces dont les
enveloppes sont diiciles à éliminer, de sorte que les traitements
post-culturaux impliquent de nombreuses étapes de nettoyage
des grains. La farine de ces deux céréales, utilisée seule, n’est pas
paniiable, et on les prépare sous forme de galettes ou de gruaux.
Des cultures de blé épeautre les accompagnent sur substrat secondaire, en particulier dans le quart Nord-Est de la Gaule. Ce dernier
blé présente les mêmes contraintes de décorticage mais il peut être
utilisé en boulangerie. La part de l’épeautre est cependant fortement surpassée par celle de l’orge vêtue, qui reste la céréale de prédilection dans le nord-est de la Gaule.
Le changement le plus spectaculaire réside dans l’essor de nouvelles céréales, plus faciles à nettoyer et dont la farine est paniiable. Ces nouvelles céréales sélectionnées sont des blés à grains
nus. Ils regroupent trois espèces qui ne peuvent être distinguées
sur la base de leurs grains, d’aspect très similaires, et que l’on identiie à partir de leurs déchets de battage, essentiellement les rachis
(axe central de l’épi). Sont concernés le blé dur, le blé poulard et
le froment. Contrairement aux blés amidonnier et épeautre, ces
« blés nus » sont faciles à décortiquer. Les froments fournissent
une farine de très bonne qualité et sont généralement consommés
sous forme de pains levés. L’avènement du froment, qui devient la
principale céréale de consommation au tournant de l’ère, marque
donc une rupture dans les habitudes alimentaires et s’accompagne
d’un essor de la meunerie et de la boulangerie, qui se dissocient en
ville de la sphère domestique. Le fait de disposer de céréales faciles
à nettoyer, paniiables et de bonne tenue durant le stockage répond aux exigences d’un commerce des semences et des denrées
de consommation courante sur de longues distances. Ces stocks
céréaliers constituent des réserves alimentaires pour les agglomérations et les infrastructures militaires.
! boire et manger en gaule du nord
vers la cuisine gallo-romaine
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36 : à droite, occurrences de myagre (étoiles
rouges) au sein des ensembles carpologiques
de France du Nord, pour 164 sites et 2200
contextes. Ci-dessous, silicules actuelles
de myagre, correspondant aux types de restes
carpologiques retrouvés.
Données V. Zech, J. Wiethold et B. Pradat;
carte et © V. Zech-Matterne.
L’essor du froment s’amorce dès le Ier siècle avant notre ère, en
Ile-de-France, et il va rapidement prendre de l’ampleur en conservant une cohérence régionale. Les régions de Picardie et d’Ile-deFrance se spécialisent ainsi dans la culture des blés nus durant la
période romaine et elles répondent massivement à cette demande
spéciique en blés paniiables. L’épeautre conserve son importance
aux marges de cette zone, sur des sols plus contraignants. Dans
les régions du Nord - Pas-de-Calais, il représente le blé le mieux
représenté. Dans le quart nord-est de la Gaule, c’est toujours l’orge
qui prédomine12.
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43
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à table
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Importance relative des blés nus (en bleu) au
sein des espèces végétales cultivées, au Ier siècle
avant notre ère (La Tène D1), en haut,
et au premier siècle de notre ère, en bas, en
France du Nord.
En jaune, les blés vêtus (amidonnier et épeautre)
et en turquoise l’orge vêtue. étude réalisée
sur des sites de plus de 100 restes et sur des
ensembles carbonisés uniquement.
Données V. Zech, J. Wiethold
et B. Pradat; cartes V. Zech.-Matterne.
_
42
Lac
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Parallèlement au développement des cultures locales de blés nus,
des importations de blés de même nature sont mises en évidence
par le renouvellement des lores adventices, compagnes des moissons. La présence d’une espèce en particulier, le myagre (Myagrum
perfoliatum), est révélatrice d’importation de stocks de céréales ou
de semences depuis les zones méridionales. L’espèce n’a en efet
pas la capacité de se naturaliser au sein de la végétation spontanée du nord de la France et sa présence résulte de réintroductions
successives, favorisées par ce commerce céréalier. Les mentions
de myagre sont très liées au réseau luvial et elles se superposent
aux régions du nord-est où prédominent les cultures d’orge. Ces
régions, et notamment la capitale de province, Reims (l’antique
Durocortorum) sont ainsi alimentées en blés nus par un commerce
de longue distance. Il en va peut-être de même pour les armées
cantonnées sur le limes rhénan. Des mentions de myagre datées
des IIIe-IVe siècles signalent la persistance de ces échanges. Durant
toute la période romaine continueront de cohabiter ces deux systèmes d’approvisionnement en blés nus, l’un issu d’une spécialisation locale des productions, l’autre s’appuyant sur des échanges
commerciaux.
Zech-Matterne, Wiethold et Pradat
à paraître
18
à table
! boire et manger en gaule du nord
essor de l’arboriculture et développement
sans précédent des cultures légumières
D’autres changements, plus discrets parmi les graines qui nous
sont parvenues, mais tout aussi porteurs de sens, adviennent dans
les habitudes alimentaires après la conquête césarienne. De nouveaux goûts alimentaires et de nouvelles manières de cuisiner se
développent, accélérant la demande axée vers des produits exogènes. Les importations et l’acclimatation de nouvelles espèces,
essentiellement fruitières et aromatiques, se multiplient. Ces importations sont surtout visibles en contexte urbain, où la gestion
des déchets concentre de grandes quantités de restes de fruits et
graines dans des structures propices à leur bonne conservation,
comme des fosses d’aisance, des dépotoirs et des fonds de puits.
Vues latérales d’un endocarpe (noyau)
d’amande, préservé par imbibition, découvert
dans les niveaux antiques du site de Reims
«Boulevard Henrot», (fouilles Ph. Rollet, Inrap)
© V. Zech-Matterne, CNRS.
Parmi ces « arrivées » précoces igurent diférentes variétés de
prunes, l’olive, la pêche, la igue et le mûrier noir, qui peuvent voyager sous forme de conserves ou de fruits secs, avant d’être pour
certains cultivés localement. Le noyer est présent dans un grand
nombre de sites, y compris ruraux. Toutes sortes d’épices agrémentent désormais les plats, parmi lesquelles igurent en bonne
place l’aneth, le céleri, le fenouil et la coriandre. Il suit de considérer la liste d’espèces présentes sur un quartier urbain de l’antique
ville de Reims pour prendre la mesure de la variété des espèces
végétales désormais sollicitées, et ce dès le Ier siècle : aux denrées
de consommation de base comme les millets, le lin, le pavot, les
blés et l’orge, l’ers et la lentille, s’ajoutent des fruitiers : noisetier,
noyer, pin pignon, olivier, pêcher, pommier, poirier, grenadier,
iguier, mûrier noir, merisier, cerisier, divers pruniers, prunellier,
nélier, vigne, amandier, fraisier sauvage, framboisier, églantier,
deux espèces de mûriers-ronce, le melon/concombre ainsi que
des plantes aromatiques et des légumes : cumin, coriandre, céleri,
aneth, fenouil, sarriette, moutarde noire, chénopode bon-henri,
mauve, pourpier, bette, carotte sauvage.
La viticulture se développe, y compris dans les provinces du nord.
Si les mentions de pépins de raisin restent très dispersées, avant de
connaître un accroissement considérable au cours de la période
romaine19, des fosses de plantation de vignes ont été identiiées
dans la basse vallée de l’Oise et des vignobles y ont peut-être été
implantés dès le Ier siècle de notre ère20. La production d’amphores
vinaires attestée à Noyon au milieu du Ier siècle pourrait également
témoigner de la mise en place d’une activité viticole dans ce secteur.
19
20
Zech-Matterne et Bouby 2011
Toupet et Lemaitre 2003
Ces nouvelles cultures suscitent une réorganisation des espaces
de culture et nécessitent l’acquisition de savoir-faire inédits, entraînant des changements profonds et visibles dans les domaines
agricoles. Les agglomérations jouent un rôle majeur dans la production, le stockage, la transformation et l’écoulement des fruits.
Elles réservent à leur périphérie des surfaces converties en ver-
vers la cuisine gallo-romaine
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gers et jardins. En contrepartie, les campagnes assurent une partie importante de la production céréalière et approvisionnent ces
agglomérations via un circuit complexe, comme cela a été observé
à propos des blés nus.
Véronique Zech-Matterne
CNRS, UMR 7209
Graines de cucurbitacées: la gourde calebasse,
graines actuelles (en haut) et exemplaires
archéologiques (en bas). © V. Zech-Matterne.
Graines de coriandre, une plante aromatique
introduite en Gaule du nord
au début de l’époque gallo-romaine,
© V. Zech-Matterne, CNRS.
à table
! boire et manger en gaule du nord
vers la cuisine gallo-romaine
47
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46
Plan d’un village spécialisé dans les cultures
arboricoles et maraîchères, à Longueil-SainteMarie (Oise). Quelques chemins organisent un
réseau dense de très petites parcelles, où étaient
édiiées de petites habitations et où étaient
pratiquées les cultures. Sont attestés par des
graines 21 la production de légumes (concombre,
gourde calebasse, amarante blette, betterave,
épinard sous forme de chénopode, pourpier),
de fruits (pignons de pin, prunes, raisin,
framboises, mûres), de plantes oléagineuses
(pavot) et aromatiques (céleri, coriandre, fenouil,
moutarde noire), de légumineuses (féveroles,
lentilles, pois), et de céréales diverses
© D. Maréchal, Inrap.
N
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études A.De Hing, P. Marinval,
V. Zech-Matterne
21
à table
! boire et manger en gaule du nord
49
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48
l’importation d’aliments exotiques méditerranéens en gaule du nord
Si nombre de plantes ont pu être apportées en Gaule
septentrionale sous forme de graines ou de plants,
et adaptées pour une culture locale, il en est d’autres
que les contraintes climatiques n’ont pas permis de
cultiver : l’olivier, le iguier, le dattier en particulier.
Le commerce à longue distance entre les provinces
de l’Empire a permis de remédier à cet obstacle, et
des types d’amphores très spéciiques témoignent
de l’importation de denrées exotiques venues pour
certaines de l’autre extrémité de l’Empire. C’est le sud
de l’Espagne qui a fourni l’huile d’olive, répandue
rapidement jusque dans les campagnes les plus
reculées ; des olives conites de même provenance ne
sont pas rares dans la région au Ier siècle ; dattes et/ou
igues conites sont attestées vers le milieu du Ier siècle,
issues probablement de la côte syro-palestinienne,
et restent un produit de luxe de difusion limitée.
Un autre élément fondamental de la cuisine « à
la romaine » réside dans l’usage de sauces à base
de poisson, le célèbre garum et d’autres produits
dérivés, obtenus à partir de jus de décomposition du
poisson. C’est la côte andalouse, autour de Cadix, qui
a alimenté la Gaule septentrionale en produits de ce
type, avec un succès assez marqué en ville et dans les
agglomérations secondaires, et un accueil qui semble
plus réservé dans les campagnes. On soupçonne
également un type d’amphore, très rare dans la région,
d’avoir transporté du thon mariné depuis la côte nordouest de la Sicile.
C
Des vins ins sont également attestés par les amphores,
pour certains en quantités non négligeables, surtout
dans des contextes privilégiés urbains ou sur des sites
de l’aristocratie rurale. On note ainsi régulièrement
la présence de vins de Marseille, d’Italie centrale ou
d’Espagne, mais aussi de vins grecs de Cos, de Rhodes.
B
Stéphane Dubois
Inrap, UMR 7041 ArScAn
A
A : Amphores trouvées à Amiens: vin de Rhodes
B : Salaisons de poisson conditionnées à Lyon portant une mention
peinte : co(r)d(ula) port(uensis) vet(us) penuar(ia) IIII a(nnorum) LXXX
(librae) L(ucii) Testi Titulli (jeune thon de Portus vieilli en conserve
pendant quatre ans, 80 livres, commercialisé par L. Testius Titullus).
C : Huile d’olive espagnole de Bétique, Musée de Picardie .
© M. Jeanneteau.
Noyaux d’olives trouvés à Faulquemont (Moselle), © Sidonie Preiss.
à table
! boire et manger en gaule du nord
un cheptel renouvelé et l’accès à de nouvelles ressources
aquatiques - conchyliculture, pêche de mer
Les bases de l’alimentation carnée restent les mêmes après la
Conquête de la Gaule par les Romains : elles reposent toujours sur
la triade porc-bœuf-caprinés. Les données de l’archéozoologie
mettent toutefois en évidence une modiication de fond des troupeaux dans la région.
Comparaison des bovins gaulois
et gallo-romains © G. Tosello.
Ce phénomène, qui connaît de fortes variations régionales, se traduit de façon générale par une augmentation sensible de la taille
des espèces domestiques. Ces variations, selon les secteurs, sont
pour la plupart progressives, et relèvent sans doute de l’évolution
sur place des espèces locales (grâce à des reproducteurs importés,
ou par des phénomènes de sélection, des changements alimentaires, etc.). Mais il semble que dans certains secteurs de Gaule septentrionale, et notamment dans une partie de la Picardie, des races
issues de souches méditerranéennes aient remplacé en quelques
décennies une partie des animaux domestiques indigènes (en
particulier les bovins et les chevaux). La taille et la morphologie
de nouveaux venus ciblent des élevages à vocation productiviste
(produire davantage de viande et de lait, augmenter la force de travail, etc.) qui peuvent être mis en relation avec l’émergence d’un
« marché » de la viande lié au développement d’agglomérations
urbaines et d’une ilière bouchère spécialisée. Une véritable chaine
artisanale se développe en milieu urbain autour de ces boucheries,
autour du traitement des restes animaliers : fabrication de produits
transformés (salaisons, viandes fumées, charcuterie), exploitation
du cuir, et jusqu’aux os et cornes qui sont réutilisés pour la fabrication de menus objets divers ou de colle à bois.
vers la cuisine gallo-romaine
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Ces changements sont particulièrement patents pour les bovins,
dont la taille au garrot passe de 1,12 m en moyenne à l’époque gauloise à 1,32 m au Ier siècle de notre ère, avec des individus atteignant jusqu’à 1,52 m. Une estimation invite à attribuer aux bovins gaulois un poids moyen de 370 kg contre environ 600 kg en
moyenne à la in de la période gallo-romaine, avec certaines bêtes
avoisinant 900 kg. Les diférences touchent également à la morphologie des bêtes : les bovidés romains présentent un développement plus important des cuisses et des épaules, zones privilégiées
pour les viandes de premier choix. Ces changements restent sujets
à des variations micro-régionales, qui peuvent être liés à des choix
d’élevage privilégiant tantôt la viande (taureaux ou bœufs), tantôt
le lait (vaches prédominantes). Des diférences de taille moyenne
sont également apparues entre villes et campagnes, les plus grands
bovidés étant attestés en milieu rural : il s’agirait ici d’une spécialisation fonctionnelle, avec des animaux robustes (castrés ?) utilisés
pour des travaux agricoles (trait ou bât), tandis que les autres, plus
graciles, étaient destinés aux boucheries urbaines.
Des modiications du même ordre sont également avérés pour
les autres espèces domestiques autour du changement d’ère, et
touchent les porcs et les ovins, mais aussi le cheval et jusqu’aux
animaux de basse-cour comme les gallinacés. Des pratiques d’élevage comme la castration des coqs font leur apparition, en vue
d’optimiser la quantité et la qualité de la viande, en l’occurrence
par l’émergence du chapon (87 % des mâles observés à Amiens au
début du IIe siècle). Les modiications semblent relever dans ces
diférents cas davantage d’une amélioration des techniques de sélection et d’élevage que de l’introduction sur place de races issues
du monde méditerranéen.
Une autre nouveauté importante réside dans l’apparition de nouvelles espèces domestiques, originaires du monde méditerranéen.
C’est le cas d’animaux à vocation alimentaire, comme le pigeon,
le canard et l’oie, qui auparavant n’étaient connus que sous leur
forme sauvage. C’est le cas également d’animaux de bât comme
l’âne et son hybride, la mule, qui restent toutefois très discrets en
Gaule septentrionale. La diversiication des types de chiens est sans
doute également liée à un usage comme auxiliaire de l’homme, par
exemple pour la chasse, la surveillance des troupeaux, la garde ;
on constate parallèlement que la viande de chien n’est plus que
très rarement consommée, tandis que le cheval, régulièrement
consommé par les Gaulois, fait désormais l’objet d’un tabou alimentaire.
Le cas du lapin de garenne, domestiqué en Espagne par les Ibères
et adopté par les Romains, est plus discutable, dans la mesure où
ses restes n’ont pas été mis en évidence en Gaule du Nord avant
l’époque carolingienne. Il est toutefois attesté au début de notre ère
Traces de découpe sur des ossements animaux
provenant d’une boucherie gallo-romaine
de Famars (Nord) © S. Lancelot, Inrap.
à table
! boire et manger en gaule du nord
sur les côtes méditerranéennes (Lattes, Hérault), et son élevage en
« garennes » (leporaria) est recommandé en Italie par Varron au Ier
siècle avant notre ère.
Le chat domestique apparaît également dans nos régions avec
l’époque romaine, adopté probablement surtout en raison de ses
aptitudes à la chasse des rongeurs nuisibles, y compris le rat noir
dont l’apparition en Gaule romaine est le revers de cette ouverture
au monde méditerranéen.
vers la cuisine gallo-romaine
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gé, dans la cour principale, un grand bassin de 60 m sur 6 ; peutêtre faut-il envisager une même interprétation pour le bassin de 40
m sur 4 de la villa de Mercin-et-Vaux (Aisne). Il y aurait là les traces
de la mise en place, dans certains grands établissements agricoles
de Gaule du Nord, d’une ilière piscicole destinée à un commerce
vers les marchés urbains.
Les Romains – en particulier l’aristocratie – étaient de gros
consommateurs de poissons, et ont manifestement transmis en
Gaule ce goût pour les produits de la mer et des rivières.
Cette accès à de nouvelles denrées consommables s’étend très
vite aux produits de la mer. L’organisation sur les côtes gauloises
d’activités spécialisées de pêche (sinon d’élevage) des mollusques a
généré, à partir du Ier siècle de notre ère, une consommation massive d’huîtres, de moules et de coques, tout particulièrement en
milieu urbain et jusque sur les rives du Rhin, témoignant ainsi de
la mise en place d’un réseau commercial rapide et performant de la
côte vers l’intérieur des terres. Si l’on en juge d’après les textes des
auteurs latins, il s’agit de produits de luxe prisés dans les milieux
aristocratiques (en particulier les huîtres).
Hameçon en fer de Sainy-Laurent-Blangy/
Actiparc (Pas-de-Calais), fouilles A. Jacques,
SAM Arras et G. Prilaux, Inrap et lest de il à
pêche en terre cuite d’Arras, fouilles A. Jacques
(Service archéoloque municipal d’Arras)
© M. Redouane.
Fruits de mer (huîtres et coques) découverts
à Famars © S. Lancelot, Inrap.
A un degré qui semble moindre (mais la fragilité des restes rend
l’appréciation diicile), ces mêmes réseaux depuis les zones côtières ont véhiculé des poissons de mer vers les villes relativement
proches de la côte. Ainsi sont attestés à Amiens, au début du IIe
siècle, des carrelets, des turbots et des grondins ; à Senlis, des restes
de bars et de carrelets ; à Arras, carrelets et plies, harengs, grondins,
dorades, mulets, et même des os de seiche. Dans les villes davantage situées à l’intérieur des terres, c’est le poisson de rivière qui
semble prédominer, marquant ainsi les limites aux possibilités de
transport de poisson frais depuis la côte. L’exemple des restes de
poissons relevés dans des niveaux parisiens du début de l’époque
romaine montre la présence d’anguilles, perches et brochets, barbeaux et brèmes. On peut envisager que cette pêche de rivière, occasionnelle à l’époque gauloise, ait pris un essor jusqu’alors inédit
avec l’émergence des agglomérations qui concentraient une clientèle potentielle. Il est même possible que des élevages de poisson
d’eau douce aient été mis en place en lien avec des villae rurales de
fond de vallée, comme celle de Famechon (Somme) où a été déga-
Figurines en terre cuite représentant
les principales espèces chassées: cerf, sanglier
et lièvre, Amiens boulevard de Saint-Quentin.
Musée de Picardie © J.-L. Boutillier.
La chasse, comme à l’époque gauloise, reste très limitée d’après le
témoignage des restes osseux sur les sites de consommation. L’iconographie associe volontiers la chasse aux cervidés et au sanglier
avec des pratiques aristocratiques ; du petit gibier est également
présent, tantôt pour être consommé (particulièrement le lièvre,
mais aussi quelques oiseaux sauvages), tantôt plutôt pour le prélèvement des peaux (loup, renard, blaireau, mustélidés et même castor). La faune sauvage ne couvre en tout état de cause jamais plus
de 1 % de l’alimentation carnée, et reste donc un phénomène anecdotique lié à des pratiques sociales ou à la protection des récoltes.
L’ensemble de ces observations montre une grande diversiication
de l’alimentation carnée. Celle-ci proite avant tout à la population
des agglomérations où se concentrent les activités bouchères et
qui servent de débouché principal aux surplus dégagés en milieux
rural et maritime par des stratégies productivistes. Le témoignage
de Pline l’Ancien évoquant des oies élevées chez les Morins pour
être vendues à Rome, ou critiquant la qualité médiocre du jambon
des Ménapiens, montre que cette intégration à l’économie impériale a entrainé, en retour, des échanges dans les deux sens.
Stéphane Dubois
Inrap, UMR 7041 ArScAn
à table
! boire et manger en gaule du nord
vers la cuisine gallo-romaine
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nouvelles manières de table,
nouvelles façons de cuisiner
Cette accumulation de nouveaux produits alimentaires accessibles
a conduit inévitablement à une évolution sensible et rapide de la
batterie de cuisine, du service de table, et même, pour partie, de la
pièce aménagée pour préparer et cuire les aliments.
Ces changements dans la façon de cuisiner et d’apprécier les aliments apparaissent selon des rythmes diférents : plus rapide en
ville et en milieu aisé, plus lentement sur les petits établissements
agricoles. Le goût des notables pour l’aichage ostentatoire de leur
richesse se traduit volontiers par la présence sur la table de vases
métalliques et de verreries, alors que des copies en terre cuite ou en
bois prennent place sur les tables plébéiennes.
du foyer domestique à la cuisine aménagée de type italique :
traces archéologiques des cuisines en gaule du nord
La taille et la forme de la cuisine dépendaient du statut de son propriétaire, mais il faut s’imaginer que dans la plupart des maisons, le
four consistait, dans la tradition gauloise, en un simple foyer au sol,
aménagé avec des tuiles, des pierres maçonnées ou non, ou encore
le fond d’un vase de stockage découpés pour servir de foyer. On
en connaît des exemplaires dans la plupart des villes du nord de la
Gaule. On pouvait aussi utiliser une cloche à braises en terre cuite
ou un braséro en métal. L’équipement métallique du foyer, de tradition gauloise, se perpétue donc sans grands changements. Peu
d’exemples de vraies cuisines construites sur le modèle méditerranéen sont connus dans le nord de la Gaule, sans doute en raison
de l’arasement fréquent de ces structures construites au-dessus du
sol. C’est tout l’intérêt de la récente découverte à Tongres d’un four
équipé d’un plan de travail, tout à fait comparable aux cuisines de
Pompéi ou d’Herculanum.
50 : Détail de la décoration du pilier funéraire
d’Igel: préparation du repas. Rheinisches
Landesmuseum Trier (Allemagne),
© Thomas Zühmer.
Détail de la décoration du pilier funéraire d’Igel.
Rheinisches Landesmuseum Trier (Allemagne),
© Thomas Zühmer.
à table
! boire et manger en gaule du nord
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un exemple de cuisine romaine
éléments métalliques
à tongres
liés au foyer domestique
Entre juin et octobre 2010, l’entreprise ARON bvba a
mené une fouille sur le Vrijthof à Tongres (Belgique),
située à l’intérieur des enceintes du IIe et du IVe siècle.
Les vestiges de maisons romaines très luxueuses ont
été mis au jour. Contre le mur d’une des maisons,
une partie d’une cuisine romaine était en place. Elle
fait partie du premier état en pierre du bâtiment qui
date de la in du Ier-début du IIe siècle et qui se trouve
actuellement à 2,5 m sous le niveau de la rue. La
structure comprenait un four et un plateau avec des
niches, tous deux construits avec des tuiles assemblées
avec du limon.
Suspendus à des crémaillères, les chaudrons servaient
à la cuisson d’aliments dans un liquide que l’on puisait
à l’aide de louches ou de grandes fourchettes à crocs
recourbés ain de ne pas endommager la cuve en ine
tôle de bronze. Les découvertes démontrent que le
chaudron bimétallique (fer et bronze) continue d’être
utilisé au début de l’époque romaine. Attiser le foyer,
racler les braises ou déplacer les bûches se fait au
moyen de pelles à feu. La cuisson se fait au-dessus
du foyer sur des grils, trépieds ou chenets dont les
variations de taille donnent un indice des quantités de
nourritures préparées. Des poêles à manche pliant du
type de Jumel permettent de saisir les aliments solides.
Liés aux banquets funéraires et au culte du foyer, ces
ustensiles sont déposés dans les tombes gauloises de
prestige et réapparaissent sous formes miniaturisées
dans les tombes romaines.
Après son abandon, la structure avait été rebouchée
par des blocs de silex et du limon. Le foyer même était
de forme rectangulaire, mesurant 1,2 m par 1,4 m,
avec une ouverture de 40 cm côté est. La base était
constituée d'une à deux couches de tuiles, portant une
chambre de chaufe circulaire de 40 cm de hauteur
et 72 cm de diamètre. Une partie de la paroi nord
du four manquait. Les tuiles et le limon dans l’aire
de chaufe montraient des fortes traces de feu. La
partie rectangulaire se trouvait sur la même hauteur,
construite par une ou deux couches de tuiles. Ces
dernières ne portaient pas de traces de chaufe. Il
s’agit probablement d’un plan de travail ou un four
domestique avec des ouvertures pour le stockage de
bois ou le rangement d’ustensiles de cuisine.
Cuisine aménagée de Tongres associant un four
et un plan de travail, © P. Reygel.
Alexia Morel
Inrap
Trépied d’Arras, "Artoipôle", Hôpital, Alain Jacques, SAM Arras,
Service archéologique municipal d’Arras. Il permettait la suspension
du récipient à cuire au dessus des braises. © M. Redouane.
Cette cuisine romaine n’a malheureusement pas pu
être totalement fouillée, car elle était coupée par la
paroi de l’emprise fouillée, et parce que la profondeur
maximale autorisée de la fouille était atteinte.
Patrick Reygel
ARON bvba
Frire les aliments: une poêle à manche pliant trouvée à Jumel (Somme), © S. Lancelot, Inrap.
à table
! boire et manger en gaule du nord
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faisselles à fromage
ustensiles métalliques
de gaule du nord
pour la préparation des aliments
La faisselle en terre cuite, un instrument qui sert
de moule à fromages, est connue dans le sud et le
centre-est de la France dès le Néolithique. Le lait est
placé à cailler dans une jatte avec des résidus d’une
précédente préparation, qui le transforme rapidement
en une masse blanche luide (le caillé) qu’on récupère
à la louche pour remplir les faisselles ; il termine de
s’égoutter avant d’être consommé frais ou séché.
En Gaule du Nord pourtant, ce mode de confection
du fromage n’apparaît, sauf très rares exceptions,
qu’assez tardivement au cours de la période
romaine – à moins que des récipients en bois ou
en vannerie aient été utilisés auparavant, et qu’ils
aient disparu sans laisser de traces. Les faisselles
en céramiques sont connues en petite quantité sur
des sites ruraux et des agglomérations secondaires,
à partir de la in du IIe siècle et ont sans doute servi
sur place à fabriquer des fromages frais. Les faibles
quantités reconnues ne permettent pas d’envisager
des productions spécialisées destinées à la vente
en série. On en connaît très ponctuellement chez
les Viromanduens, les Ambiens, les Atrébates ou les
Bellovaques, rarement plus d’un exemplaire à la fois
– mais la très grande majorité des sites fouillés dans
le nord-ouest de la France n’en a pas livré le moindre
fragment. Il s’agit donc soit de fabrications isolées
destinées à la consommation sur place, soit de très
petites productions pour une revente à échelle locale.
Seul le site de Menneville (Aisne), aux IIIe-IVe siècles,
témoigne d’une production plus conséquente avec
cinq exemplaires recensés.
Faisselle à fromages en terre cuite, Musée Archéologique
de l’Oise, Vendeuil-Caply, © S. Lancelot, Inrap.
Divers ustensiles en fer pourvus d’un unique tranchant
servent aux découpes de préparation bouchère ou
de consommation dans un cadre domestique. Outre
leurs caractéristiques morphologiques intrinsèques,
des stèles funéraires permettent de déinir les formes
utilisées pour les activités spéciiques de boucherie.
Les artisans antiques spécialisés dans la préparation
et le commerce de la viande bénéiciaient d’une
panoplie variée de couteaux comparable à nos
ustensiles modernes. Parmi les types caractéristiques,
le couperet à large lame et à tranchant courbe est utile
pour le débitage des os au contraire du long couteau
à tranchant rectiligne et lame étroite qui permet de
découper la viande et de dresser les ilets. La diversité
des formes attestées, variant par la longueur, la
largeur, la forme du tranchant et du dos, l’orientation
de la pointe ainsi que le mode d’emmanchement, est
telle qu’elle laisse supposer des usages multiples pour
un même ustensile. Le couteau d’Arras, caractérisé par
sa douille et son tranchant droit, a été indiféremment
utilisé pour découper les pièces de viandes crues ou
comme hachoir. Des observations complémentaires
peuvent être faites sur les restes osseux concernant,
certes la préparation de coupe, mais pas uniquement.
Ainsi, une omoplate de bœuf découverte à SaintQuentin présente la marque d’un crochet d’usage
domestique ou artisanal, indice d’une pièce de viande
suspendue en attente d’être consommée.
Outils de boucherie gallo-romaine en fer © S. Lancelot, Inrap.
Alexia Morel
Inrap
Stéphane Dubois, Sonja Willems
Inrap, UMR 7041 ArScAn
© Christophe Hosdez, Inrap
à table
! boire et manger en gaule du nord
préparer les aliments à la mode gallo-romaine
La batterie de cuisine du nord de la Gaule voit peu à peu se côtoyer
des ustensiles de tradition gauloise et de nouveaux récipients qui
relèvent de pratiques culinaires d’origine méditerranéenne.
Mortier en terre cuite de l’atelier de Noyon
(Oise), trouvé à Amiens, Musée de Picardie
© S. Lancelot, Inrap.
Le mortier (mortarium), muni d’un bec verseur et d’une surface interne râpeuse, était utilisé pour broyer et malaxer des feuilles, des
graines et des épices : il servait en particulier à réaliser des sauces,
emblématiques de la cuisine méditerranéenne. Condiments importés en amphores et plantes aromatiques nouvelles attestées par
l’archéobotanique y étaient mêlés selon des recettes complexes,
dont le traité d’Apicius donne de multiples exemples. En Gaule
du Nord, les premiers exemples connus sont importés d’Italie
(site d’Actiparc à Arras) ou des ateliers lyonnais dont les mortiers
se retrouvent dans la plupart des centres urbains et sur des sites
ruraux aristocratiques comme celui de Noyon. La généralisation
de son usage a ensuite conduit, dès la première moitié du Ier siècle
de notre ère, à l’émergence de grosses oicines régionales spécialisées, autour de Noyon et de Bavay.
L’usage régulier de sauces entraine un développement progressif
de la cuisson mijotée ou à l’étoufée, au détriment de la cuisson
bouillie (qui reste toutefois en usage durant toute la période romaine). Mijoter en sauce nécessite des récipients assez bas, et sufisamment larges à l’ouverture pour pouvoir mélanger en cours de
cuisson : ce sont les marmites ou cocottes (caccabus), dont l’usage
se généralise après le milieu du Ier siècle. Ces récipients paraissent
avoir été posés sur un trépied en fer au-dessus du feu, ou directement dans les braises, ou encore dans le four à pain, selon le type
de cuisson demandé. Les modèles italiques présentent un bord
adapté pour recevoir un couvercle (operculum), qui ne se retrouve
pas toujours sur les copies de Gaule du Nord.
L’apparition de la cuisson au four est une autre nouveauté signiicative. Le plat à four (patina) est un récipient de faible hauteur, à large
fond plat et parois obliques ou arrondies. L’intérieur est en général
recouvert d’un engobe rouge sombre (dit « rouge pompéien »), qui
sert de surface anti-adhérente. Ces plats servent semble-t-il surtout à cuire des galettes, comme le montrent les découvertes de
Pompéi. Ils peuvent également avoir servi à cuire des « tourtes »,
ce que suggère la présence, à l’intérieur de certains exemplaires
pompéiens, de noyaux d’olives. Le traité d’Apicius consacre également tout un chapitre à des préparations à base d’œufs cuites au
four, particulièrement appréciées en Italie. Ces recettes de patinae
mêlent aux œufs une grande variété d’ingrédients : légumes et
fruits, poissons et oursins, fromage, jusqu’aux cervelles et pies.
Attestés en Gaule du Centre-Est bien avant la conquête romaine,
ils n’apparaissent en Gaule septentrionale qu’au milieu de l’époque
vers la cuisine gallo-romaine
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augustéenne, vers 20-10 avant notre ère. Il s’agit alors, pendant
plus d’un demi-siècle, d’importations originaires de Campanie et
probablement d’ateliers encore mal connus du centre de la Gaule
(Lyon ?). La Gaule du Nord reste dépendante de ces apports extérieurs jusque dans les années 60/70 de notre ère, période qui voit
l’émergence d’une production spécialisée dans le Cambrésis,
aux Rues-des-Vignes, près de Cambrai. Ce centre de production
inonde alors de ses produits de vastes territoires de la Gaule du
Nord, de la région dieppoise et de la vallée de l’Oise jusqu’en Belgique, aux Pays-Bas et sur le Rhin. On en connaît jusque dans le
nord de la Grande-Bretagne, à York, témoignant de la généralisation de l’usage du four à cette période.
Un autre mode de cuisson de tradition méditerranéenne semble
avoir eu moins de succès en Gaule du Nord : la friture. On connaît
en Italie des poêles métalliques ou poêlons en céramique (sartago), destinés à frire ou sauter les aliments dans la graisse. Ce type
de cuisson n’est pas attesté dans la région avant la in du IIe ou le
début du IIIe siècle, et même à cette époque, alors que des poêlons
sont fabriqués dans la plupart des oicines de potiers de la région,
ils restent un récipient assez peu répandu, et toujours très minoritaire dans les batteries de cuisine.
Les modes de cuisson traditionnels gaulois demeurent également
bien présents à l’époque romaine – ils rejoignent en fait des traditions parallèles du monde méditerranéen où ils étaient également
pratiqués. Ainsi subsiste en bonne position l’usage de rôtir ou griller la viande au-dessus de la braise, pratique attestée par la découverte de grils et de broches en fer.
De même le pot à cuire (olla), pour bouillir seuls ou mêlés viandes,
légumes et céréales, reste l’un des récipients de base de la cuisine
en Gaule du Nord. On peut envisager que les recettes traditionnelles
se voient améliorées par de nouveaux ingrédients et de nouveaux
aromates. Dans les milieux aisés, ou pour les grandes occasions
de repas collectif, ce pot en céramique pouvait laisser place à un
chaudron métallique, ou à sa copie en céramique attestée dans la
région parmi les productions de Beuvraignes (Somme) et du Cambrésis (Nord). À ces récipients à bouillir peuvent être associées la
louche métallique (trulla) et des passoires en terre cuite ou en métal
(colum), destinées à récupérer les aliments sans se brûler.
Les quantités énormes de pots de type olla mis au jour lors des
fouilles archéologiques pose question : est-ce là le témoignage
d’un type de cuisson resté largement prédominant, ou une partie
de ces pots servait-elle au stockage des aliments, voire à leur commercialisation « en conserve » ?
Récipients en terre cuite pour la préparation et
la cuisson des aliments : plat à cuire, marmites
et pots, Amiens, Musée de Picardie
© S. Lancelot, Inrap.
Chaudron en céramique commune trouvé
dans un caveau funéraire du début du IIe siècle
à Saultain (Nord), DRAC Nord-Pas-de-Calais,
Service régional de l’archéologie
© S. Lancelot, Inrap.
à table
! boire et manger en gaule du nord
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préserver et stocker les denrées alimentaires
La préservation des denrées à court ou moyen terme
est un enjeu vital pour les sociétés anciennes, notamment pour boucler la jonction des mois d’hiver, entre
les récoltes et les abattages de la in de l’été ou de
l’automne, et les premières cueillettes de mars-avril.
Céréales et légumineuses se conservaient sous forme
de grains et graines décortiqués et séchés.
On rencontre fréquemment sur les sites ruraux les
vestiges de greniers surélevés sur poteaux, permettant
de préserver les réserves de l’humidité et des rongeurs.
La plupart des sites antiques livrent également des
fragments de grandes jarres (dolia), hautes d’environ
1 mètre, et qui ont sans doute servi tantôt au stockage
du grain dans la maison, tantôt à saler des viandes
(traces interne de corrosion de la surface). Ils sont
fabriqués en série, au sein d’ateliers plus ou moins
spécialisés, dont les principaux pour le nord-ouest
de la Gaule sont situés dans le Cambrésis et le
Noyonnais, et de façon plus ponctuelle dans
le Beauvaisis.
Les importations (vin, huile, salaisons de poisson)
étaient sans doute conservées dans leurs amphores,
outres ou tonneaux. Il en allait sans doute de même
pour d’autres produits difusés dans leurs pots de
conserve (olives, miel, charcuterie, plats préparés,
etc.). Ces pots étaient soit des récipients « standards »
identiques à ceux utilisés en cuisine, soit des vases
aux formes spéciiques, qui peut-être correspondaient
à un code identiiable par les clients. On connaît par
exemple à Nimègue des pots dits Kurkurne retrouvés
avec leur contenu, des grives en sauce, qui paraissent
avoir été achetées sous forme de « plats cuisinés ». De
même à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), l’atelier de
potiers qui produisait massivement des pots côtoie une
activité artisanale de charcuterie : un lien entre
les deux est donc envisagé.
Légumes, baies, champignons et viandes pouvaient
être préservés de diverses manières : fumés, salés,
séchés, conits dans le miel, dans la graisse, dans
l’alcool ou dans le vin, et peut-être lacto-fermentés
comme la choucroute (mais la date d’apparition de
cette méthode de conservation reste inconnue). Des
pots ont sans doute accueilli ces conserves diverses,
sans que l’on puisse aujourd’hui déceler les traces de
leur contenu. Les indices de ce type de conserves sont
en efet très indirects. Quelques fumoirs à viandes ont
été fouillés au nord de la Seine (Authevernes, Callengeville en Seine-Maritime), mais il s’agit d’exemples
isolés. La viande ne semble donc avoir été fumée que
de façon marginale ; l’autre méthode pour la conserver consiste à la plonger dans la saumure, dans des
saloirs. L’industrie gallo-romaine du sel commence à
être mieux connue grâce à plusieurs fouilles récentes
sur le littoral ménapien : des salines du IIe siècle ont en
efet été découvertes à Looberghe, à Steene et Pitgam
(Nord), avec les restes de fours à grille, et des centaines
de fragments de piliers et de godets en terre cuite
utilisés pour l’évaporation de l’eau de mer. Des inscriptions antiques de Tongres et de Rimini témoignent de
la vitalité des salines des Morins et des Ménapiens, qui
alimentaient jusqu’aux troupes stationnées sur le Rhin.
Des excavations creusées dans le sol, simples celliers ou caves aménagées, sont très courantes sur les
sites antiques, tant en ville qu’à la campagne. Elles
accueillaient ces divers récipients de stockage, ainsi
que les denrées périssables (lait, œufs, beurre,…) en les
maintenant au frais et à l’abri
Ensemble de pots et cruches de stockage découverts à Amiens,
Musée de Picardie © S. Lancelot, Inrap.
Sonja Willems , Stéphane Dubois
Inrap, UMR 7041 ArScAn
Grand récipient de stockage (dolium) trouvé à Attilly (Aisne).
Hauteur 71 cm, largeur 73 cm. DRAC de Picardie, Service régional
de l’archéologie © D. Bossut, Inrap.
à table
! boire et manger en gaule du nord
vers la cuisine gallo-romaine
des ablutions avant le repas
L’usage méditerranéen de se laver les mains avant,
voire entre les plats, à l’aide d’eau versée d’une cruche
dans un bassin apparaît en Gaule du Nord au tout
début de notre ère. Des « services à ablutions » sont
alors produits spéciiquement pour cet usage, en
Champagne (à Reims même ?), sous forme de cruches à
bec trélé dotées d’un poucier décoré de têtes stylisées
et de patères à manche rainuré terminé par un anneau.
La difusion de ces récipients couvre un vaste secteur
entre Seine et Rhin, avec une concentration toute particulière autour d’Arras.
65
_
_
64
la présentation des aliments : le service de table
Dans un second temps, après le milieu du Ier siècle,
d’autres ateliers plus régionaux semblent s’impliquer
dans ce type de production, et trouvent une faveur
plus marquée chez les Nerviens, autour de Cambrai et
de Bavay. L’aristocratie privilégie toutefois l’usage d’un
service à ablutions en bronze, comme celui découvert à
Trinquies (Somme) dans une tombe de la in du Ier siècle.
Stéphane Dubois
Inrap, UMR 7041 ArScAn
Un changement fondamental se généralise en Gaule du Nord vers
20/10 avant notre ère, après des débuts très timides les décennies
précédentes : la mise en place d’un service spécialisé dans la présentation des aliments sur la table, avec des séries de plats, assiettes,
bols, coupes et coupelles à sauces, ainsi que quelques grands bols
ou « calices » décorés au moule.
Le marqueur emblématique de cette nouvelle pratique est une
belle vaisselle de couleur rouge-orangé, dite sigillée italique (du
latin signum car elle porte fréquemment un poinçon au nom du
potier), dont une grande part provient des ateliers d’Arezzo, mais
aussi de quelques autres oicines d’Italie centrale et de succursales
lyonnaises. La carte de difusion de ces importations en Gaule du
nord-ouest montre des concentrations en milieu urbain (surtout
Paris, Amiens et Bavay), et une présence bien établie sur les bourgs
secondaires et les sanctuaires ; les découvertes rurales en revanche
se limitent à des établissements de haut rang.
Service à abutions en bronze de Trinquies
(Somme), musée Boucher de Perthes à Abbeville,
© S. Lancelot, Inrap.; et services à ablutions en
céramique dorée au mica (Arras), Alain Jacques,
Service archéologique municipal d’Arras
© M. Jeanneteau.
Il semble exister en Italie un code de couleurs pour le service de
table. Le rouge de la sigillée semble ainsi être réservé aux aliments
solides. Le service à boire s’en démarque totalement : la mode italique veut en efet que les gobelets soient de teinte beige à brune et
Service de table augustéen (vers 20/10
av. J.-C.) en sigillée italique et vases à parois
ines, Musée de Picardie © M. Jeanneteau,
! boire et manger en gaule du nord 66
vers la cuisine gallo-romaine
67
_
_
à table
Un vase prestigieux pour la présentation
des aliments : calice en sigillée italique trouvé
à Amiens (Somme). Collection François Vasselle
© M. Jeanneteau.
Aperçu des récipients du service à boire
du Ier siècle: vase-tonnelet en terra rubra
et bouteilles en terra nigra de Marquion
(Pas-de-Calais), DRAC Nord Pas-de-Calais,
Service régional de l’archéologie
© S. Lancelot, Inrap.
souvent décorés de diverses manières ; que les cruches soient de
teinte beige ou jaune ; ou encore qu’à l’imitation de la verrerie les
vases à boire présentent une couverte vert-jaune obtenue par une
glaçure à base d’oxyde de plomb. La tradition gauloise d’un service
à boire (coupes et bouteilles) de teinte noire se perpétue en parallèle.
Très vite, ces nouveaux types céramiques font l’objet d’imitations
dans le nord de la Gaule, d’abord en très petites quantité (dès 50/30
avant notre ère), puis de façon massive à partir du dernier quart du
Ier siècle avant notre ère. La Champagne semble être le principal
centre de production pour le nord-ouest de la Gaule, mais d’autres
ateliers apparaissent dès cette époque notamment dans le Cambrésis, l’Artois, le Noyonnais et connaissent une difusion assez
étendue. Ces imitations régionales, réalisées en terra nigra et terra
rubra (terre noire et terre rouge, selon la cuisson) présentent un
large répertoire, et touchent plus volontiers les zones rurales où la
sigillée ne pénètre guère.
22
Gury, Blanc, Montel 2000
De même les cruches (olpe ou lagoena), un temps importées de la
région lyonnaise ou de Gaule du Centre, sont elles aussi copiées
dans des ateliers du Nord-Ouest de la Gaule, dès les premières
décennies du Ier siècle. Des ateliers apparaissent ainsi très tôt à
Bavay et Noyon et sans doute également dans le Cambrésis. Ils
deviennent rapidement des pôles à l’échelle de la province et exportent même au-delà, en Ile-de-France, Haute-Normandie, voire
en Grande-Bretagne.
Enin, une partie des fruits et légumes, ou encore du poisson, étaient
probablement présentés dans des corbeilles ou des mannes en vannerie, comme celle trouvée à Châlon-sur-Saône22. Il s’agit d’une corbeille circulaire plate, composée de diférentes sortes de plantes et
branches provenant du saule, de la clématite et du cornouiller. Ces
corbeilles sont aussi connues par des stèles funéraires dans le Nord,
où on les voit sur les genoux des déesses mères, remplies de fruits.
Avec toutes ces innovations survenues sur quelques décennies,
on peut parler de la mise en place graduelle d’un nouveau mode
de consommation. Les habitants de Gaule du Nord mangeaient-ils
couchés « à la romaine » ou assis « à la gauloise » ? Mangeaient-ils
en se servant dans des plats collectifs ou avaient-ils leurs propres
couverts individuels ? La discussion reste d'actualités. Si les descriptions et les images qui nous sont parvenues des repas de l’aristocratie italienne privilégient l’image de plats collectifs où chacun
pioche à sa guise depuis sa couche sur le triclinium, divers indices
suggèrent qu’au moins pour certains types d’aliments existaient en
Gaule du Nord des assiettes et coupes à usage individuel. On note
ainsi des traces de découpe au couteau à l’intérieur de séries d’assiettes (il est évident que couper sa viande requiert plus volontiers
un récipient personnel posé devant soi qu’un plat de service), ou
des marques gravées à la pointe servant de marque de propriété :
citons par exemple Lucan(us), Catil(lus) ou Alba(nus) à Amiens, Eko
et Murran(us) à Moislains, Rustica à Noyon. Peut-être faut-il voir
là l’indice d’une distinction entre la simplicité du quotidien et le
complexe rituel de banquet à la table des notables.
À la table des riches
Les banquets, appréciés par les chefs gaulois du temps de l’Indépendance, rencontrent une tradition identique dans les milieux
aristocratiques romains. L’ostentation y tient une large part, les largesses alimentaires permettant d’aicher sa richesse et son pou-
Entonnoir de Noyon, probablement utilisé pour
transvaser le contenu des amphores dans des
cruches, DRAC de Picardie, Service régional de
l’archéologie © S. Lancelot, Inrap.
Graites nominaux sur assiette et plat de
Moislains (Somme): Eco (IIKO) et Muranus
(MVRAN), DRAC de Picardie, Service régional
de l’archéologie © S. Lancelot, Inrap.
! boire et manger en gaule du nord 68
vers la cuisine gallo-romaine
69
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à table
voir : c’est dans ce cadre que trouvent tous leurs sens les pièces de
vaisselle luxueuses, l’adoption de nouveaux mets, l’usage des nouvelles épices et condiments, l’importation de produits exotiques.
Ces banquets sont présumés se tenir, comme dans le monde méditerranéen, dans des pièces spécialement conçues pour apprécier le
repas : le triclinium ou salle à manger, disposant de trois lits, est situé généralement à côté de l’atrium (la pièce ouverte centrale d’une
maison romaine), mais parfois une deuxième salle d’été est établie
hors de la maison. Les trois lits en pente sont installés autour d’une
table au centre, où sont disposés les plats. Mosaïques et peintures
murales montrent les hommes allongés sur les lits, autour des
tables basses sur lesquelles sont disposés les mets, tandis que les
femmes et les enfants sont assis sur des chaises aux pieds de leurs
maris. Cette diférence entre homme et femme est plus tard abandonnée et seuls les enfants s’assoient sur des tabourets. Si ce type
de pièce a vraisemblablement existé en Gaule septentrionale, il est
bien diicile de l’identiier lors des fouilles archéologiques.
Le banquet suit le rythme d’un repas ordinaire. Après les ablutions
d’usage se succédaient entrée (gustatio), plat principal (prima mensa) qui pouvait être constitué de plusieurs services et où l’on servait
surtout la viande, dessert (secundae mensae) et inalement commisatio où l’on buvait du vin coupé à l’eau. Les Romains ne disposent
pas de fourchettes : la règle est de manger avec les doigts, et qui sont
ensuite essuyés sur les nappes (mappa), ou rincés dans des coupelles
remplies d’eau parfumée. Des cuillères sont toutefois disponibles
pour des aliments liquides ou luides, notamment les œufs.
A Rome, une forme de surenchère donnait lieu à des excès dénoncés par exemple par Pétrone, dans le Satiricon. Un soin particulier semble avoir été apporté à l’apparence des plats en vue de provoquer la surprise visuelle, mais aussi olfactive ou gustative, en
mêlant des ingrédients sucrés aux épices fortes : ainsi les dulcia
(sucreries) peuvent-elles être parsemées de poivre et le iliatum
(un vin parfumé) aromatisé par la myrrhe, le cinnamone ou encore le safran. Le développement de ces excès dans les provinces
gauloises nouvellement conquises n’est toutefois pas attesté. On
peut envisager que des notables locaux y aient été confrontés à la
table des gouverneurs de la province, à Reims (Durocortorum), ou
chez des marchands et militaires cantonnés dans la Province ; les
principes de bases du banquet « à la romaine » se sont sans doute
rapidement substitués aux pratiques traditionnelles.
Cette recherche du luxe se relète dans le vaisselier qui accompagne
le repas : service à ablutions en bronze (bassin et cruche), gobelets à
boire en verre ou en argent, plats en argent, en laiton ou en bronze.
Sonja Willems, Cyrille Chaidron, Stéphane Dubois,
Inrap, UMR 7041 ArScAn
Service de table en terra rubra essentiellement
champenoise, mobilier provenant d’une
nécropole gallo-romaine fouillée à Méaulte
(Somme), DRAC de Picardie, Service régional de
l’archéologie © S. Lancelot, Inrap.
à table
! boire et manger en gaule du nord
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la vaisselle métallique : un service de table d’exception ou privilégié
Plats et coupes en bronze, parfois étamés ou argentés,
restent limités au service de table d’une population
aisée. La découverte de vaisselle en argent demeure
un fait encore plus exceptionnel. Le site de VillersVicomte (Oise) a livré cinq vases en bronze « cachés »
autour des années 250 à 280 de notre ère, durant une
période d’insécurité : un geste révélateur de la valeur
de ces biens, produits dans des ateliers provinciaux
spécialisés. À table, œufs, escargots et coquillages
étaient consommés à l’aide de cuillères – seuls
« couverts » – de formes diverses. Le long manche
eilé de la cuillère de Vermand (Aisne) pouvait servir
à extraire des escargots de leur coquille.
Des récipients sont adaptés à la consommation
du vin, bien de prestige avant la généralisation
de sa consommation sous l’Empire, ainsi que des
boissons fermentées indigènes qui ne cesseront
d’être appréciées.
On retrouve dans les tombes laténiennes élitaires
des seaux à cerclage en métal et douelles de bois,
des simpuli (louches), des passoires associées à des
casseroles pour puiser, iltrer et chaufer les liquides.
À l’époque romaine, les seaux serviront essentiellement
au transport de l’eau. Les situles, seaux entièrement
en métal, sont indiféremment utilisées pour la
consommation de vin, pour les libations du foyer
ou pour les ablutions corporelles. On attribuera les
mêmes usages aux bassins identiques à celui de
Vermand (Aisne). Ces bassins à bord perlé, produits
dans les ateliers provinciaux de Germanie (vallée
de la Meuse et du Rhin Moyen), sont déposés dans
les sépultures tardo-romaines et mérovingiennes
Alexia More
Inrap
B
C
Aperçu de la vaisselle métallique de Gaule du Nord (IIIe et IVe siècles):
A : Récipients en bronze de Villers-Vicomte (Oise), Musée
archéologique de l’Oise, Vendeuil-Caply, © S. Lancelot, Inrap.
B et C: Cuillère en argent et bassin godronné en bronze de Vermand
(Aisne), Musée du Vermandois, © D. Bossut, Inrap.
A
à table
! boire et manger en gaule du nord
73
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72
la vaisselle en verre
Le vaisselier connait au Ier siècle avant notre ère un
grand bouleversement lié à l’invention, provenant sans
doute de Syrie, d’une nouvelle technique de fabrication
de verreries et à l’importation de matière première
sous forme de blocs de verre brut ou de fragments
à recycler dans des ateliers secondaires, situés d’abord
en Italie puis en Gaule. Les verriers ont dès lors recours
au soulage à la canne et l’on passe d’une production
quasi exclusive de parure ou de petits vases dédiés
aux produits cosmétiques, à une production destinée
à toutes les activités domestiques (de la vaisselle
et du stockage), en ville comme à la campagne.
Cette technique succède à celle du « coulage,
pressage et formage sur moule23» qui facilitait déjà
la production de formes ouvertes tels que les bols
ou les coupes (côtelées). L’innovation technique
du soulage, à la volée ou dans des moules, a favorisé
l’industrialisation du verre, et la mise sur le marché
d’une plus grande quantité de récipients. Ce nouveau
type de façonnage à la canne à souler a permis la
diversiication des formes ofrant ainsi un éventail plus
important de fonctionnalités : cruches (pour le service),
plats, coupes et coupelles (pour la présentation),
gobelets, bols, assiettes (pour la consommation).
Les propriétés du verre qui en font un matériau parfait
pour la conservation des aliments (utilisation de
bocaux et bouteilles aux formes variées), son absence
de porosité, sa mise en valeur des aliments, lui ont
permis de gagner sa place aux côtés de la céramique.
Ce matériau, très apprécié pour sa légèreté et son
élégance, a pris une place prépondérante dans
le vaisselier romain quotidien
C, D et E
Service à boire en verre :
A : Carchesium trouvé à Amiens (Somme, in IIe siècle),
musée de Picardie, © Claude Gheerbrant.
B. Gobelet caréné noir d’Urvillers (Aisne, IIe siècle),
DRAC de Picardie, Service régional de l’archéologie.
C : Bol en verre avec feuille d'or sur la lèvre, Ier siècle après J.C.,
Cauvins (Pas-de-Calais), Drac Nord Pas-de-Calais.
D : Coupe côtelée bleue de Croixrault (Somme, Ier siècle),
DRAC de Picardie, Service régional de l’archéologie.
Jennifer Clerget
Inrap
E : Coupe à cabochons d’Eterpigny (Somme, IVe siècle), DRAC
de Picardie, Service régional de l’archéologie
© S. Lancelot, Inrap.
A
23
Verre et merveilles, 1993
B
à table
! boire et manger en gaule du nord
75
_
_
74
quelques recettes antiques
tirées de la cuisine romaine antique
d’anne Blanc et anne nercessian,
lyon, glénat, 1992.
patina d’asperges ou de concombre
apicius, 133 et 134
minutal à la matius
apicius, 168
la surenchère gastronomique à rome :
l’exemple de vitellius suetone, vitellius, xiii
Pilez du poivre, de la livèche, de la coriandre verte, de
la sarriette, de l’oignon, du vin, du garum et de l’huile.
Mettez dans une cocotte de l’huile, du garum, du
bouillon, du poireau et de la coriandre émincée, et de
petites boulettes de viande.
Transvasez la purée dans un plat graissé et, si vous
voulez, délayez-y des œufs sur le feu pour lier.
Coupez en dés de la palette de porc cuite avec sa
couenne. Faite cuire le tout ensemble.
Saupoudrez de poivre in. Patina de concombre :
préparez les de la même façon ; si vous le désirez
disposez les sur un lit de chair de poisson ou de poulet.
À mi-cuisson, jetez des pommes coupées en morceaux
dont vous aurez enlevé le cœur.
Lui-même surpassa encore cette somptuosité en
inaugurant un plat qu’il se plaisait à nommer, à cause
de ses dimensions extraordinaires, « le bouclier de
Minerve protectrice de la Ville ». Il it mêler dans ce plat
des foies de scares [poisson], des cervelles de faisans
et de paons, des langues de lamants, des laitances de
murènes, que ses capitaines de navire et ses trirèmes
étaient allés lui chercher jusque dans le pays des
Parthes et jusqu’au détroit de Gadès.]
Mettez dans un mortier les bouts d’asperges qu’on
retranche d’ordinaire, pilez, versez du vin et passez au
tamis.
crépinettes
apicius, 48
Pilez de la viande hachée avec de la mie d’un pain de
blé tendre détrempée dans du vin.
Pendant ce temps, pilez du poivre, du cumin, de la
coriandre verte ou sa graine, de la menthe et de la
racine de laser, mouillez de vinaigre, de miel, d’un peu
de defritum (moût de raisin cuit épais) et de jus de
cuisson.
Travaillez avec un peu de vinaigre.
Faites bouillir.
Pilez ensemble du poivre, du garum et, si vous voulez,
des baies de myrte épépinées.
Après ébullition, liez avec de la pâte émiettée,
saupoudrez de poivre et servez.
Formez de petites quenelles fourrées de pignons de pin
et de poivre.
Enveloppez les de crépine et faites les grillez
légèrement avec du carénum (moût de raisin cuit).
poisson salé sans poisson salé
apicius, 430
Faites cuire du foie, pilez le, mettez du poivre ou
du garum ou du sel et ajoutez de l’huile – prenez
du foie de lièvre, de chevreau ou de volaille – et, si
vous voulez, donnez lui dans un moule la forme d’un
poisson.
Versez de l’huile verte par-dessus.
à table
! boire et manger en gaule du nord
L’alimentation humaine en Europe occidentale a connu une série
de paliers plus ou moins brutaux qui sont autant d’étapes vers une
intégration mondialisée de la nourriture, un processus encore en
cours aujourd’hui. Le premier stade remonte à la Préhistoire, avec
les groupes de chasseurs-cueilleurs paléolithiques et mésolithiques.
Ce mode d’alimentation basé sur la chasse, la pêche et la cueillette
des plantes, graines et baies sauvages, a constitué le quotidien des
hommes dans la région pendant des centaines de milliers d’années.
La découverte du feu, il y a 400 000 ans environ, peut déjà marquer
une césure au sein de cette période très longue, et constituer le
premier pas vers cette particularité culturelle propre à l’espèce humaine : la cuisine des aliments.
Le phénomène que l’on appelle parfois la « révolution néolithique »
a conduit, vers 5000 avant notre ère, à un changement assez radical des pratiques alimentaires. Des populations arrivées d’Europe de
l’Est et du monde méditerranéen ont apporté avec elles un nouveau
mode de vie sédentaire, basé sur l’élevage de troupeaux de bovins, de
moutons, de cochons, et sur l’agriculture céréalière. Les récipients
en terre cuite pour cuire ces nouveaux aliments apparaissent au
même moment dans la région.La « romanisation » constitue alors
une seconde mutation profonde des traditions locales. Sur ce fond
néolithique, qui avait évolué localement, vient se grefer par l’intermédiaire des Romains un mélange des traditions alimentaires de
l’ensemble du pourtour méditerranéen, combinant une multitude
de nouveaux aliments et nouvelles façons de cuisiner.
Mais d’autres étapes ont marqué depuis notre alimentation.
La colonisation de l’Amérique conduira ainsi aux XVIe-XVIIe siècles
à l’introduction d’une nouvelle vague d’aliments nouveaux dont
certains voués à jouer un rôle majeur (pommes de terre, tomates,
courges, maïs, haricot, café, etc.). Le XIXe siècle, toujours par le biais
du colonialisme, verra ensuite une ouverture sur les mondes maghrébin et asiatique. La in du XXe et le début du XXIe siècle marque
sans doute une des ultimes étapes de ce phénomène, avec l’accès
à des aliments et des cuisines du monde entier, qui se traduit par
le succès des restaurants japonais, turcs ou mexicains, par le développement de viandes exotiques (kangourou, antilope, bison) et par
des rayons spécialisés « cuisine du monde » et « fruits exotiques »
jusque dans les grandes surfaces de distribution.
On peut ainsi envisager l’alimentation comme l’un des marqueurs
culturels et l’un des indicateurs des métissages culturels les plus
pertinents. On considère ainsi de plus en plus la « romanisation »,
dont cette exposition rend compte à travers la nourriture, comme
une créolisation, l’émergence d’une culture nouvelle gallo-romaine
mixte, à partir d’éléments puisés dans la tradition locale et dans des
pratiques issues de toutes les civilisations du pourtour méditerranéen, fusionnées dans le creuset romain.
Stéphane Dubois
Inrap, UMR 7041 ArScAn
mise en perspective
77
_
mise
en perspective
_
76
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aller plus loin...
à table
! boire et manger en gaule du nord
aller plus loin
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Gobelet à devise: BIBITE ! (buvez en latin)
Amiens, musée de Picardie
© J.-L Boutillier
ISBN 978-2-908095-45-6
EAN 9782908095456
12 €